lundi 20 décembre 2010

Gangrène



On dit, et on vous le dira si cela vous arrive un jour, qu'être enfermé, emprisonné, ne vous prive pas de votre liberté spirituelle. Autrement dit, tant que votre esprit est libre peu importe les barreaux. On voit souvent cette idée dans les œuvres de fiction, livres, films...
C'est faux.
Entendons nous : je parle d'un enfermement physique total, c'est à dire dans un lieu étranger, avec des étrangers. Peu importe les raisons, l'aspect décisif est la privation de liberté. Vous ne pouvez en sortir quand bon vous semble, ou à moins de prendre des risques dont la dangerosité vous en dissuade.
Absence de choix. Il reste donc la liberté spirituelle, l'imaginaire, la mémoire, le phantasme et même les peurs. Dans un premier temps ces ressources vous alimenterons et vous permettrons une certaine "évasion" mentale. Mais elles s'assécheront. Très vite je vous l'assure. Votre esprit n'est plus alimenté par la variété, variété de lieux, de contacts humains et de toutes les experiences que vous pouvez faire rien qu'en regardant une fenêtre, et pouvoir l'ouvrir. Même si votre vie est fade et répétitive, peu importe vous avez le choix et cela change tout. C'est lorsque vous n'aurez plus ce choix que vous connaitrez la douleur de l'identique et du répétitif.
Il y a des moyens de lutter contre cette déliquescence : l'art, crée ou consommé, ou des points changeants tels une fenêtre sur le "vrai" monde que vous avez quitté. Mais là encore, si cela vous accorde un sursis cela ne suffit pas, car ces activités nécessitent un effort, une motivation que vous seul pouvez fournir. A terme la monotonie et l'apathie vous ôteront cette envie, de plus vous avez le choix...le choix de ne pas faire, de ne plus vous battre pour une cause qui vous paraît de plus en plus abstraite et éloignée, et dont l'évocation ne fera qu'aggraver la plaie. Vous êtes seuls. Autrement dit vous n'existez pas.
La solution c'est l'humain. Quel qu'il soit, votre geôlier, un ami, un parent, un proche, un inconnu, qu'importe tant qu'il échange avec vous et vous donne une substance. Vos experiences et vos mémoires respectives vous lieront, puis vos expériences communes au jour le jour vous souderont pour la durée de votre enfermement, et peut être au dela.
Ainsi si l'un de vos proches et enfermé, ne l'oubliez pas, car il s'oubliera lui même.


image : photo prise par léa

J'ai les mains mortes




oh un fil

Encore du fil, partout, autour des mains, dans les yeux
mais pas les miens.
Un vase, de l'eau sale et cette peau qui tombe,
la lèpre qui brûle les tombes.
Des morts et des rats,
et ce radeau sur cette huile amère,
une pluie de larme sur une forêt d'os brisé
et le Creuseur qui cherche, renifle,
rampe dans la fange à la recherche des monstres millénaires.
Courir, sortir, à la surface le vent coule et le soleil souffle les souillures. Mais ce n'est pas la paix, c'est là où se consument nos rêves. Les vautours tournoient au dessus des tours de notre orgueil en ruines, les routes de nos ambitions crevassées et nos tentatives calcinées se dessèchent, oubliées. Les statues de nos Pères, le nez brisé, contemplent le désert brûlant, et les monstres difformes de l'Espoir rampent, à la recherche d'un peu de vie, d'un peu de sang.



(texte sinistre mais sans rapport avec mon humeur)

mercredi 1 septembre 2010

Fable ou histoire


Pour une fois un texte qui n'est pas de moi.


Fable ou histoire


Un jour, maigre et sentant un royal appétit,
Un singe d'une peau de tigre se vêtit.
Le tigre avait été méchant, lui, fut atroce.
Il avait endossé le droit d'être féroce.
Il se mit à grincer des dents, criant : je suis
Le vainqueur des halliers, le roi sombre des nuits !
Il s'embusqua, brigand des bois, dans les épines ;
Il entassa l'horreur, le meurtre, les rapines,
Égorgea les passants, dévasta la forêt,
Fit tout ce qu'avais fait la peau qui le couvrait.
Il vivait dans un antre, entouré de carnage.
Chacun, voyant la peau, croyait au personnage.
Il s'écriait, poussant d'affreux rugissements :
Regardez, ma caverne est pleine d'ossements ;
Devant moi tout recule et frémit, tout émigre,
Tout tremble ; admirez-moi, voyez, je suis un tigre !
Les bêtes l'admiraient, et fuyaient à grand pas.
Un belluaire vint, le saisit dans ses bras,
Déchira cette peau comme on déchire un linge,
Mit à nu ce vainqueur, et dit : tu n'es qu'un singe.


Victor Hugo


Image : "BAD monkey" by Austrich

dimanche 9 mai 2010

Le miroir


09/11/09

Nu dans sa chambre debout devant son miroir il le regarde. Quel beau miroir, rectangulaire, on croirait ses bords tranchants, sans aucun cadre, aucun fourreau. Ses doigts chauds touchent la surface froide, le miroir obéit sagement et tend la main lui aussi. "Pourquoi tu es froid" demande l'original. Mais moi, pourquoi suis je chaud se dit il au même moment. Le miroir a parlé lui aussi. Mais l'original n'a pas entendu. "Répète" dit il. Le miroir répète mais il n'entend pas. Non tais toi si ce n'est pour ne rien dire. L'original met sa main sur la bouche du miroir. Mais trop tard l'autre a tendu la main pour bloquer la sienne. Lâche moi ! Le miroir le lâche en même temps que lui. L'original a peur maintenant. Pourquoi le miroir est il si différend ? Il veut le rendre semblable à lui même mais il ne sait comment.
Il prend un feutre et tente de dessiner son propre visage sur le miroir. Mais celui ci n'est pas satisfait et d'un commun accord ils effacent les traits maladroits. L'original prend alors une photo de lui et la colle sur le miroir. La photo est mauvaise, mal dimensionnée et surtout elle est froide alors l'original a la peau chaude. Il faut réchauffer le miroir, il va chercher un briquet et chauffe le miroir. Mais la photo s'enflamme et se consume trop vite. Cependant l'original a entrevue la vie du miroir, le miroir a été chaud, comme lui.
L'original appui alors son visage contre le miroir, il reste ainsi pendant quelques minutes et regarde son travail. Oui c'est chaud. Mais pas longtemps. La vie serait-elle si éphémère ? L'atroce évidence s'impose à lui. Le miroir manque d'humanité, il n'a pas de chaleur, il n'a pas de vie, il n'a pas de peau.
L'original attrape alors un couteau pointu. Il découpe soigneusement la peau de son visage, le front, les joues, ses lèvres. Le miroir en a fait autant pour se préparer à recevoir ces morceaux de vie. Envahi d'une joie indicible, telle la joie de l'accouchement, l'original colle les lambeaux de peau sur le miroir. Ça y est le miroir a un visage comme lui. Car en se regardant dans le miroir, il voit son visage collé dessus. Ils ont tout les deux un visage, l'original a donné de la vie. Fou d'amour pour sa création il caresse la joue du miroir.
Elle est froide.