vendredi 6 décembre 2013

La sirène




La fleur, l'araignée, la lumière dans l'obscurité. La voix douce, le sucre qui fond sur la langue, la main tendue.
Le poison, la cannibale, le piège abyssal, la menteuse, la mer, les rochers pointus.
J'entend sa voix tracer des cercles dans l'eau, ses yeux de feu, si proches.
Elle fait couler des rêves dans mes veines, assourdi mes oreilles de son chant, fait trembler mes mains tandis que mon corps se tend irrésistiblement dans sa direction.
Tout ce que je désirais elle me l'offre, et plus encore, elle emplit chaque vide de mon âme, comble la moindre de mes attentes, dissipe mes peurs et apaise chaque douleur.
La mélodie qui flotte dans l'air semble composée sur mesure pour moi, je me vois en elle, avec une clarté jamais imaginée.
Comment pourrais-je rester là, immobile, il ne s'agit pas là d'avoir trouvé le bonheur, la vérité ou l'amour, il s'agit de l'intégrité de mon être. C'est trouver la pièce du puzzle, la clé de la serrure, la complétude et la solution à mon existence.

En un sens j'avais raison. Lorsque les récifs éventrèrent le bateau, la lueur de la lune balaya le visage aux yeux de feu. Je savais ce que j'allais y voir, mes oreilles résonnait de son chant qui équilibrait tout et dissipait la sensation de mes membres broyés par les rochers. Je crois me souvenir que je lui souriait et, quand elle cessa de chanter pour ouvrir grand la bouche, je n'avais plus de raisons de vivre.






Image : Mermaid Lamnidae by davidgaillet.deviantart.com

dimanche 17 novembre 2013

Résilience




Larmes et blessures s'inscrivent profondément dans le sable, elles en troublent la surface uniforme, on ne voit qu'elles, disgracieuses écorchures. Mais le sable coule, lentement, et recouvre les traces, il aplanit les hauts et les bas, comble les manques, atténue les excès, et fait glisser un doigt rêveur sur l'aquarelle encore humide de nos souvenirs. Marée perpétuellement montante, il laisse brièvement émerger les édifices que l'on y construit avant de les ensevelir à leur tour.
Nous flottons à sa surface, incapable de s'en affranchir, incapable de s'en saisir. Nous ne pouvons que suivre son courant, endurer ses remous, il est comme la pluie que vous ne vouliez pas voir tomber, indifférentes à vos maux et à votre poing tendu vers le ciel.
Telle la cendre qui s'abattit sur Pompéi, il fige nos souvenirs, se déverse dans notre mémoire comme du plâtre dans un moule.
On le voit comme un poison, injecté dans nos veines à la naissance, il fait vieillir nos corps, engourdit notre esprit et nos sens, on le cherche, on le perd, on en achète et on le gaspille, la course désespérée contre la trotteuse. Il se fait aussi panacée, espoir enivrant, rêves d'avenir, réconfortant feu de souvenir, ou encore médecin patient, capable de panser les plaies les plus profondes.
Il régit nos vies plus que tout autre chose, il est une fortune que l'on investit sans espoir de profits, un bien dont on profite sans jamais en être le maître.
Il est craint et convoité, l'Alpha et l’Oméga qui fait et défait toutes choses, nourrit puis dévore, broie indifféremment le colosse comme le petit. Pourtant, si nombreux furent ceux qui tentèrent de lui résister, nul ne s'est hasarder à le prier, à le vénérer, jamais le ciel ne fut obscurcit par un temple à son nom, ni aucun chant à sa gloire n'atteignit le ciel.
Peut-être dès notre plus jeune âge comprenons-nous que cette constante ne saurait-être altérée et qu'il est aussi vain de l'implorer que de poursuivre le vent.
Ainsi nous courbons l'échine, tremblant de peur à l'idée de notre fragilité, nous nous agitons sous la domination absolue de ce maître que nous feignons de ne pas voir. Comme les nombreuses choses face auxquelles nous sommes impuissants, nous préférons l'oublier mais chaque jour, la marée monte.



vendredi 1 novembre 2013

La fleur-I



Un chemin de pierre dans une forêt, des cordes dans les arbres, des signes sur la roche, une lune pâle et des étoiles plus pâles encore. Le sentier serpente entre les troncs, se couvre par endroit de feuilles, dérive d'un fossé à l'autre, disparait parfois, laissant ses vieux pavés se dissoudre dans l'humus. Si vous souhaitiez vous en écarter la brume occulterait vos yeux et vos mains ne rencontreraient qu'un mur d'écorce. Le chemin se suit, tel un long et vorace serpent.
Au bout du voyage une clairière nimbée par la lune et les limbes, un antique puits émerge mollement de l'herbe, coiffé d'un arbre fatigué qui semble regarder au fond du gouffre humide. Si vous désiriez avancer vous seriez charmé par la douceur des plantes sous vos pieds, le vent parfumé et la fraicheur de l'obscurité. Vous pourriez vous pencher au bord du puits, tenter d'apercevoir ce qu'il contient.
Vous y verriez des fleurs, ternes, grisâtres, exsangue, elles poussent moribondes, sans but, ne devant leur présence qu'à l'eau qui ruisselle sur la muraille. Sans cette eau jamais leurs graines n'auraient eu la folie de pousser dans cette ombre moisie. Peut-êtres ces fleurs haïssent-elles cette eau qui les maintiens en vie, tel un tortionnaire s'assurant que sa victime ne se laisse pas mourir de faim. Cette demi-vie doit leur être un long et inutile calvaire et leur nectar brûler comme de l'acide.
L'une d'elle est différente, elle pousse au juste milieu de l'orifice et profite donc de quelques généreuses heures de soleil. La vie transpire de ses pétales colorés et ses formes se dressent fièrement vers le bout de ciel qui les surplombe. Son parfum lourd baigne tout le fond du puits, écrasant même la pire charogne par sa présence, toutes les autres fleurs semblent tournées vers elle et l'envier en secret. Cette fleur est une moquerie cruelle pour toutes les autres, quelqu'un se serait-il amusé à jeter des graines en pariant sur celle qui s'en tirerait le mieux ? La raison de leur ressentiment est bien pire hélas, car la bénie du soleil dispense également un nectar plus sucré que le miel aux insectes qui ne manquent pas de répondre à l'appel de son parfum. Cette fleur assure ainsi sa reproduction ainsi que celle de toutes ses rivales, prolongeant leur supplice sur plusieurs générations.
Au fond du puits elle fait danser ses pétales dans les rayons d'un soleil qui ne brille que pour elle, elle fait rouler les gouttes de rosée sur sa peau, éclatants de lumière comme autant de joyaux qui la parent, une légère poudre d'or la maquille et sa tige ondule depuis le sol où elle est enracinée, enchainant ses soeurs. Une cruelle mère maquerelle, qui use d'elles afin d'ajouter la domination aux autres dons que le soleil lui a fait. Toutes la corolle tournée vers elle, piteuses, blafardes, l'humidité se condense sur leurs pétales fripés comme si elles pleuraient leur douleur, en silence, condamnées à la survie, donnant tout à quelqu'un qui n'a besoin de rien.

Vint un jour où le soleil était particulièrement généreux et couvrait sa protégée de ses plus riches bijoux. La chaleur au fond du puits était étouffante et amplifié par le parfum capiteux de la fleur, de rares oiseaux passait dans le ciel et les insectes dans les herbes sèches, à l’extérieur, faisait un bruit assourdissant.
Une ombre passa soudain, interrompant les flatteries du soleil. La fleur se dressa, courroucée devant l'outrage tandis que son cercle d'esclave relevait timidement la tête. L'ombre se fit plus grande, plongeant presque le puits dans les ténèbres et s'abattit sur l'orgueilleuse.
Dans le silence des murs de pierre, une main avait arrachée celle que toutes haïssaient.





Image : redsoil

jeudi 3 octobre 2013

Racines




Nos pensées sont bien construites, notre monde étayé par de solides preuves tangibles. L'année commence le premier janvier, on ne passe pas lorsque le feu est rouge, où que se pose le regard il y a une explication, une raison, une obligation, une interdiction, une information. Rien n'échappe à l'ordre, l'organisation qui jette une lumière crue sur notre environnement, une radiographie qui révèle le squelette, le fonctionnement intime de tout ce qui nous entoure. Et même lorsque nous ne pouvons savoir, on sait que l'explication existe.
Alors quel choc lorsque ces échafaudages volent en éclat, une altercation, une voiture qui en percute une autre, un accident domestique, une panne au milieu de nul part, la mort d'un de nos chers êtres... La vie parait soudain plus intense, plus fragile aussi, plus incertaine. Un inconnu qui menace votre intégrité physique, le sang qui coule de votre crâne fendu, votre cœur crispé sur ce câble dénudé, la main de l'ancien qui ne répond plus. Quels règles organisent tout cela ? Qui faut-il contacter pour arrêter hémorragie ? Rien, personne ne peut rien à cet instant, c'est la solitude, l'isolement dans un monde familier, le champ de vision se rétrécit, ma vie ou la sienne, ma vie ou la tienne ?
Enfoui dans nos mémoires, rampant dans les méandres de nos gènes, vit encore un lointain ancêtre, hagard, terrifié, il viens de voir un éclair de lumière s'abattre sur l'arbre qui allait lui servir de refuge à l'orage. Il s'arrête, essoufflé sous la pluie battante. Comme au ralenti il voit des morceaux de bois incandescent exploser en tous sens, quelques flammèches parviennent jusqu'à lui et s’étouffent dans les peaux détrempées qui le couvrent. Les oreilles sifflantes il voit l'arbre au tronc si solide perdre la moitié de sa hauteur dans une pluie de flammes.
Cette terreur muette, cette incompréhension, cette incapacité à réagir, nous la retrouvons dans ces moments là. Ces moments où tout notre savoir, nos biens, tout ce qui nous rassure et nous construit, ne servent à rien, ne changent rien. Que nous les comprenions ou pas, notre vie se trouve broyée par les épreuves, comme une vague fauche sans résistance des baigneurs. On les voit ensuite se relever, chancelant, tendant leurs corps et se préparant à stopper la prochaine vague qui les balayera de la même façon.
C'est cette petitesse, cette fragilité que notre mode de vie essaye d'occulter.





Image : tree_da_final by miguel santos

samedi 7 septembre 2013

Comme au premier jour





Cet escalier est froid. La pierre transpire une humidité tenace à travers les fibres de son pantalon. Il a fui les bruits et la moiteur des lieux de perditions, les échos lui parviennent de loin, chuchotements familiers et si incongrus à cet instant. Une main rassurante se pose sur son épaule, une bouche amie récite quelques paroles de réconfort et de soutien. Je suppose que de loin cette scène à tout du chagrin d'amour.
Mais non il est là, sur ces marches glaciales, à scruter le bout de ses chaussures, incrustés dans la moisissure de la pierre. Ça n'est pas de l'amour qui saigne, quelque chose lui fait mal dans sa tête. Son cœur n'est pas entaillé mais il lui semble que son cerveau a la nausée. Des mains sèches le pétrissent, le tordent, le déforment. Lorsqu'il ferme les yeux ce sont de terribles images qui tapissent l’intérieur de ses paupières.
J'ignore combien de temps s'est écoulé ensuite.
Cette pièce est bien trop éclairée. Les murs blancs l'enserrent et l'éblouissent. Une main ferme et fraîche serre la sienne, des lèvres curieuses alignent des questions. Que dire ? Comment le dire ? Il parviens à en souffler quelques mots maladroits. Un sourcil surpris se dresse tandis qu'une main empressée enfile des chapelets de mots faméliques sur un carnet.
Les questions se tarissent, ils se redressent, leurs mains se serrent à nouveau. Cette fois, elle est froide.
Le voici entre quatre murs verts et blancs. Le carrelage lui rappelle celui d'une école, le lit celui d'un médecin, le lavabo celui de toilettes de gare. La lumière projette plus d'ombres que de clarté, son ombre sur le mur est celle d'une géant squelettique.
Les jours s'empilent comme un château de cartes, son reflet vieillit plus vite que lui, le voici qui chante et qui marmonne. Il parle à des souvenirs, il chantonne de mémoire. Le présent s'estompe, recule devant ces flots réminiscents, il tend la main vers des gens depuis longtemps absents, entend des paroles déjà éteintes et accroche des yeux vides. Ses joues se creusent, des cernes coulent lentement de ses yeux comme une épaisse confiture et sa voix s'amenuise en un filet à peine audible.
Oublié par tous, il se souvient de tout. Il erre dans les couloirs décrépis. Qui sait, peut-être se voit-il arpentant la coursive d'un bateau, frôler les délicats lambris du seuil d'une chambre d’hôtel, humer cette odeur de cerise et de soleil dans la chevelure de cette fille, gouter sa peau couleur de miel et guetter l'éclat profond de ses yeux.Peut-être est il encore jeune, peut-être voit-il notre télé en noir et blanc, ses cheveux encore blonds et ce carrelage brillant de propreté. Comme au premier jour.
Le premier jour, le jour sans précédent, sans semblables, un roi qui n'aura que des fils et aucun rival. Le premier jour. Il est midi, le temps est couvert, une fenêtre est ouverte et une pluie drue tombe parfois, disputant au soleil le ciel bleu.
Il passait près d'un pont, plutôt sous un pont. L'herbe humide léchait le cuir de ses chaussures, le ciment grisâtre ruisselait encore des pluies précédentes. Quelques détritus, cannettes d'aluminium, papier d'emballages, s'entassaient au pied des larges piliers de pierre. Sur l'un d'eux figurait quelque chose. Il ne voulait pas bien voir ce que c'était, cela paraissait s'agiter, se transformer en changeant. C'était un dessin, un graffiti, un vague symbole esquissé d'un seul trait. Cela ressemblait tout à la fois à une lettre, un chiffre, un symbole, cela disait quelque chose, montrait une direction, une idée. Il ferma les yeux plusieurs fois, la forme s'imprimant en traits de feu sur sa rétine.  Il la regarda une dernière fois avec méfiance, hésitant à lui tourner le dos.
Il se hâta de rentrer. Ce soir il retrouvait des visages amis dans quelques lieux de perdition. Ce soir c'était la fin de son premier jour, et il n'eut pas de successeur.





Image : Prodigy-Invaders Must Die

mardi 27 août 2013

Vendus au paradis



Vendus au paradis, arrachés à leur gravité, dans l'incapacité de descendre ni même de voir depuis les nuages, la terre qui les a porté.
Ils flottent, grotesques ballons de baudruche, agitant les bras comme des chiots dans une baignoire, ils tentent de descendre, de s'affranchir de cette légèreté, en vain.
Entre deux eaux, entre deux airs, les voici accrochés à une partition qu'ils ne savent pas lire, une montgolfière gonflée au plomb, entre deux rives, sans pont.
Le vent les pousse, les chasse, joue avec eux comme un enfant, fragiles bulles de savon ils sont ballotés en tous sens, hagards, reclus, prisonniers de cieux peu cléments. Égarés dans les limbes, un troupeau de spectres séniles, une foule de visages blêmes, montés si loin qu'ils ne sauraient distinguer ni le haut ni le bas.

Les négriers des nuages, esclavagistes des nuées, lançant leurs chaînes vers le sol, les vents leur murmurent ce qu'ils entendent des humains qui se croient seuls, et vendent ce grouillant troupeau de pécheurs. Ils nous troquent contre quelques rayons de soleil pour réchauffer leurs zéphyrs. Nous avons vendus nos âmes dans ce but.

dimanche 21 juillet 2013



Voila que ça me gratte, cet insecte dans mon cou. Mes mains blanches se tordent, tressent leurs doigts ensemble en une douloureuse araignée. Mon oeil vide se tourne vers l'horizon, je sens le vent qui s'engouffre dans l'orbite, comme un souffle court dans une flute en os. Je sens le soleil qui passe sur mon crâne, il y trace un sillon qu'il répète chaque jour.
En contrebas le sable coule, une éternelle cascade de poussière d'or qui tombe au pied du calcaire et je sens la montagne qui me regarde. Des dizaines de paires d'yeux se terrent dans ses rides, reniflent l'air avec méfiance, leur pupilles brillantes vers moi.
La douleur me ramène à la réalité, à cette rue boueuse où je suis affalé. Mes bras me paraissent des barres de ciment, je parviens à hisser une main molle à hauteur de mon visage. Je n'y vois presque rien, la vision plus brouillée que lors de la pire cuite de ma vie, mes doigts paraissent fondre lentement sur ma paume, comme des bougies ramollies par les heures. En tentant de soulager la douleur ils rencontrent le corps gonflé de la créature cramponnée à mon cou, sa bouche collée à ma carotide, secouant paresseusement ses anneaux et tortillant son corps de larve aveugle sur mon épaule.
En rencontrant la chair flasque du ver une nausée me monta accompagnée d'une peur panique. Quelle était cette bête répugnante, où me trouvais-je, pourquoi mes sens étaient-ils si perturbés ? La mémoire me reviens alors presque douloureusement, des images brèves, de l'argent qui change de main, de la répulsion, la promesse d'un voyage, l'accident.
Que cette main est lourde, elle porte une balle de métal bleuté. Une sphère parfaite. Le vent y laisse de minuscules éraflures en passant. Il trace des petites spirales, des chemins sinueux, plus délicatement que le plus habile sculpteur. En approchant la surface du métal de mes yeux j'y distingue des routes, des zones où les éraflures se rassemblent en villes, et cela se développe comme une fourmilière qui s'étend. Ce merveilleux objet me permet de lire le vent, ses mouvements invisibles n'ont maintenant plus de secrets pour moi. Mais le voila qui se fait moins lourd, le vent l'a si bien usé qu'il commence à fondre, il est si froid sur ma peau, le vent me glace, ma main est trempée de métal fondu.
Il fait nuit, quelle heure peut-il être ? J'ai le bras dans une flaque d'eau répugnante, la manche de mon costume y baigne jusqu'au coude. J'ai la tête lourde, enfermée dans un casque de coton, mieux vaux ne pas la bouger si je ne veux pas vomir, de toute façon je n'y vois rien, il fait sombre et le monde a le tournis. Qu'est ce qui pèse si lourd sur mon ventre ?
Je suis dans une grande plaine mauve, sous un ciel rose et un soleil bleu. Il tombe une pluie fine, totalement transparente, presque invisible, dont chaque goutte rebondit sans cesse sur le sol mou. Me voici au milieu d'un ballet de morceaux de verre liquide que mon corps absorbe comme une éponge. Ma soif, ma faim, ma fatigue disparaissent à mesure que j'avance, c'est un véritable déluge mais je suis sec, je me nourris par ce simple contact. Mon corps ne m'a jamais paru si jeune, je cours, envahi d'une énergie qui se renouvelle à chaque bond. Le sol mou rend chacun de mes sauts vertigineux et la pluie bienfaitrice abreuve chaque parcelle de ma peau.
Brusquement mon pied gauche s'enfonce jusqu'au genoux. Étonné je tente de le dégager mais cette matière mauve est maintenant dure comme la pierre.
J'ouvre à nouveaux les yeux sur une rue sinistre. J'ai l'impression d'avoir déjà fait ce rêve, appuyé contre un mur, les bras ballant et une démangeaison dans le cou. Son souvenir m'échappe, je suis maintenant allongé, mes bras ne bougent plus du tout, ma vue est un véritable maelström, je ne perçois que de vague forme et des couleurs vives. Quelle étrange situation, comment me suis-je retrouvé ici ?
Ma tête finit par rouler sur le pavé et je distingue une forme imposante gisant à mes cotés. On aurait dit un énorme sac oublié là. J'aimerais le toucher mais plus aucune sensation n'anime mon corps, comme dans un rêve. Je dois dormir.
Dans les dernières brumes de ma conscience je perçois une ultime douleur à la base de mon cou, une terrible impression de succion, de mon corps qui se vide, le froid qui imbibe mes membres.
Il pleut toujours, le soleil bleu caresse mes yeux, je suis couché sur le dos, les yeux vers le ciel, la danse de la pluie agite des milliers d'étincelles au dessus de mes yeux. Tels des pétales animés de volonté propre ils s'agitent, s’effleurent, s'évitent, se frôlent, éclaboussant mes yeux des reflets du ciel rose. Le sol mauve est chaud et tendre, des gouttelettes imbibent mes lèvres de leur légèreté. Je m'enfonce petit à petit, et la terre clôt mes paupières.







Image : growth by miles johnston

vendredi 28 juin 2013

La harpie



Elle était là, juste devant moi, grande silhouette sombre au regard perçant. Il faisait nuit, la sueur me perlait au front et dans le dos, j'étais dans mon lit, un cauchemar, je ne sais plus, et elle était là.
Au bout du lit, les mains jointes, à peine visible dans la pénombre, ses grandes ailes de nuit se fondait dans la chambre, masquant les timides étoiles par la fenêtre. Une odeur de mort se répandit dans la pièce, une effrayante puanteur de cadavre, de viande décomposée, de prison oubliée, l'air devins poisseux et ma bouche s’assécha avant d'avoir pu prononcer un son.
Ce fut elle qui parla, je devinais sa bouche décharnée derrière les replis de sa cape lorsqu'elle prononça mon nom. Il résonna comme une insulte dans le vide. Je restais stupéfait, mes yeux sonnèrent deux battements puis mes entrailles me semblèrent se déchirer de l'intérieur. Je me pliais en deux, en proie à une terrible nausée, ma bouche et ma gorge se contractèrent douloureusement, comme s’agiterait un chien qu'on égorge et des larmes trop grosses pour couler gonflèrent mes paupières.
Ma mémoire se tordait comme si on la torturait, elle cracha des noms, des époques, des lieux qu'elle cachait là où ils ne pouvaient pas déranger. La moindre de mes actions se couvrait d'une honte crasse, je vis toute la malveillance qui suintait de chacun de mes actes, mon hypocrisie en protégeant ceux que j'aimais, mes mensonges en embrassant mon reflet. Je finis par vomir au bas du lit, révulsé de haine envers mon être, brûlé de remords. Je frappais le matelas, le cadre en bois, les murs à ma portée, souhaitant détruire en me détruisant, comme un hurlement j'entendais toutes les horreurs que j'avais pu dire et penser, amplifiée, chaufée à blanc, plaques de métal sur ma peau et larmes bouillantes.
La rage finit par refluer, ne laissant que le marais du désespoir, puis, telle la pluie qui tombe subitement au premier coup de tonnerre, la détresse la plus totale envahit mon âme.
Je sentis alors une odeur, partout autour de moi, comme un cocon d'araignée. C'était l'odeur de mort de la harpie. Le dégoût que j'éprouvais dorénavant pour moi-même était tel que je fut irrésistiblement attirée par elle, comme lorsque tout parait chaud à une main que l'on a plongé dans la neige.
Je me levais et pris la main qu'elle me tendait. Elle me serra dans ses bras froid et ses ailes de nuit nous enveloppèrent.
Je vois parfois le soleil à travers ses plumes, alors je détourne mon regard et plonge ma tête dans ce parfum de mort. Si elle ne m'avais rien dit, comment aurais-je pu l'aimer.





Image : vulture by serdarturkoglu

mardi 28 mai 2013

Une ville



Une nouvelle ville, plus grise encore que la précédente. Mes pas trainent dans la poussière qui recouvre les pavés, en ignorant les passants il me serait facile de croire à une ville fantôme, abandonnée suite à un quelconque cataclysme.
Ici ne sont que visages fermés, sourires séquestrés, rictus rouillés, leurs faces semblent creusées, criblées par les obus de la vie. Ces rides, ces marques, ces cicatrices, ces tâches de vieillesse, ce nez rougi, ces pommettes congestionnées, leurs yeux m'épient derrière les volets de leurs paupières. Quelques silhouettes décharnées sur un banc, à croire qu'elles étaient là avant lui, ces hommes à la terrasse d'un café qui ressemble à un bunker de la seconde guerre, même le Soleil ne daigne pas regarder dans notre direction.
Je continue d'aligner mes pas, je sens leur regard qui coule sur moi comme du vinaigre, leurs mimiques monstrueuses, leurs lèvres s'agitent comme des mollusques indolents, crachent quelques mots sur mon passage. Je presse le pas, j'ai presque dépassé le café, je sens leurs yeux vrillés sur mon dos, une douleur me serre les épaules comme s'ils me plantaient leurs vilaines cannes entre les omoplates. Du coin de l'oreille j’entends des chaises que l'on déplace, des murmures puis un bruit sec, il se répète, je l'entend encore, un bruit sec et régulier.
De ma main droite je serre les pans de ma robe et presse encore le pas, ils me suivent à présent. J'arrive à une petite place, j'ai l'impression d'être tombée dans un cendrier. Un monument informe, monolithique, grisâtre, est érigé en son centre, des noms de morts précipitamment gravés, tout autour les mêmes bancs de pierre, massifs eux aussi, utilitaires, on dirait des pavés plus gros que les autres. Je fais voler la poussière sur mon passage, elle envahit tout, mes cheveux, mes yeux et encrasse mes ongles, je prend la première rue qui s'offre à moi.
J'entends de nouveau le petit bruit sec de leurs cannes qui les précédent, furetant entre les pavés comme un sinistre tentacule. J'avance entre les sacs poubelles qui jonchent la rue, mes talons trébuchants sur les papiers gras et les immondices. Je parviens peu à peu à distancer mes poursuivants, peut-être fatiguent-ils, ou peut-être suis-je dans une impasse. Non le passage fait un angle et je peux entendre les bruits d'une grande avenue.
Courant presque je dépasse l'angle et dans un grand froid je sens le regard acide des hommes en face de moi. Mes jambes s'arrêtent d'elle-même, tremblante comme si elles étaient animées de leur propre peur et de la sueur aigre perle à mon front. Pétrifiée de terreur j'entends le petit bruit sec qui se rapproche de tous cotés. Mes poursuivants arrivent lentement, leurs yeux me perforent comme des doigts qui retournent une plaie béante, ils fouillent dans ma bouche, tirent sur ma robe, agrippent mes cheveux  et dégoulinent sur mes jambes.
Mes oreilles n'entendent plus qu'un sifflement tandis que mes yeux perçoivent de grandes tâches noires. Mes jambes cèdent et m'écrasent au sol, soulevant un nuage de poussière. Il flotte une odeur de cendre.






Image : Zamak (http://zamak.fr)

dimanche 19 mai 2013

Cycle




Les mains liées, le souffle court, les muscles tendus. Trébuchant, alignant des petits pas précipités.
Une course circulaire et perdue, le souffre coule, de ses poignets la corde se défait.
Le ciel au dessus de lui a cette étrange couleur mauve, si neutre qu'on oublierai qu'il est là, le sol est à peine plus tangible, de maigres buissons de doigts l'ébouriffent par endroits, et c'est à peu près tout.
Ses pas tournent en rond, il danse sur un vinyle, petite pointe de diamant qui raye les parois de son crâne. Quelques notes aigrelettes lorsqu'il trébuche, quelques croches, quelques blanches, le voila qui titube comme un somnambule, le voila qui tâtonne telle une chauve souris aphone.
Il a beau tambouriner aux paupières, il ne trouve pas la sortie, au loin peut-être se dessine elle-même une maison, disons un cube de ciment car je ne sais pas vraiment dessiner. Il part, il glisse dans les rainures du disque sous son ciel violet, s'il tend la main un oiseau s'y pose. La maison est grande, murs gris comme prévus, mais toit effilé d'un pourpre profond, une cheminée y est plantée, comme un épieu fumant dans la tête d'un sanglier. Pour un peu on y verrait la fenêtre par laquelle il regarde. Pas de porte mais un trou sur un de ces murs, et à l'intérieur ? Pas grand chose, un lit de sangles, une chaise en bois rongée aux vers mais dure comme la pierre, une carafe d'eau claire à ses pieds. La fumée viens d'ailleurs, mais le plus étonnant c'est la vacuité de ce lit. Peu importe.
Il a déjà vu tout ça, il connait cet endroit. Il prend une nouvelle gorgée d'eau dans le pichet et sort de la maison nue. Ses pieds traînent le sol, la lumière décline, la tête basse, le cœur à bas, de guerre lasse, il reprend sa marche, contraint de la même manière que les secondes suivent les heures.
Les yeux creux il laisse le disque tourner à vide, sans y imprimer la moindre trace, il se laisse couler, une goutte de pluie. Cela fait si longtemps maintenant, il veut sortir, il en a assez, il a assez vu, assez vécu sous ce ciel mauve et muet, où est la suite ? Où sont les clochers, les routes, les arbres, où est le soleil ? Un vague trou dans sa mémoire, un tache brillante, quelques rayons qui percent les limbes, il est là, ce qu'il cherche. Qu'est ce que ça fait là ? Pourquoi cherche-t-il ici ? Le souvenir est trop loin, il a beau tendre la main il ne parviens pas à l'atteindre. De hurlements en regrets le voici qui s'éloigne, un froid mou le remplaçant, il n'a même pas pu voir sa forme, que cherche-t-il ? Où sont passées mes idées ? Le sol se dérobe sous mes pieds, mes jambes se contractent pour prévenir une chute fantasmée, mes bras s'agitent comme au fond d'un puit, la lumière, oui c'est ça qu'il cherche.
Les yeux s'ouvrent.

mardi 7 mai 2013

Le jeu des marteaux continue, ils frappent sèchement, les coups se succèdent dans les entrailles de métal et de bois. Les pièces s'entrechoquent sous l'impulsion de l'homme qui assène ses coups avec précision. Tout l'ouvrage tremble sous l'enchainement précis de ses gestes vifs, lui même paraît souffrir, la transpiration perle à son front tandis que ses doigts s'agitent en tous sens.
Enfin il s'arrête, dans un ultime assaut, laissant la pièce résonner des derniers soupirs de la mécanique.

Un jour je raconterai l'histoire du pianiste à qui l'on a tranché une main.

mardi 23 avril 2013

L'air se fait rare




Mon corps s'agite dans la pénombre, mes narines palpitent tandis que la sueur perle à mon front. D'un coup mes mâchoires s'ouvrent, l'air s'engouffre dans mes poumons, la fraicheur de la pièce envahie mon corps. Mes yeux s'écarquillent, hagard, dans l'obscurité épaisse. Je ne vois rien, je n'ai rien vu. J'ai senti quelque chose, je n'ai pas rêvé. Ça n’était pas un cauchemar non plus.
Un verre d'eau.
Je me lève lentement, ma femme gémit dans son sommeil à l'autre bout du lit. Je sors de la chambre, tâtonne dans le noir à la recherche de l'interrupteur. Je balaye la salle à manger du regard. La petite table où trainent quelques reliefs du dernier repas, un magazine jeté sur le canapé, son sac à main près de la porte, mon manteau étendu sur une chaise. Je me dirige vers la cuisine et manque d'étouffer un cri de surprise.
Il y a un singe assis sur le plan de travail.
J'en suis resté pétrifié. Ça n'était pas un gros singe, plutôt un petit chimpanzé ou un petit bonobo. Un petit animal à la fourrure brune, les yeux jaunâtres, grands ouverts et une expression concentrée. Comment est il arrivé là ? Par où est il entré et à qui appartient-il ? Je reprend lentement mes esprits, mais que faire ? Le chasser ? Ou le garder jusqu'au matin puis téléphoner à la gendarmerie ? Il pouvait aller n'importe où dehors et que ferait-il s'il s'avérait être la propriété d'un zoo ou d'un riche excentrique ? Non il faut le garder ici pour la nuit. Mais comment ? Hors de question de le laisser en liberté dans la maison, ma femme va faire une attaque au petit déjeuner. Peut-être dans la cage de transport du chat.
Ce singe me regarde.
La première étape est de le faire descendre du plan de travail. Je tend lentement les mains vers lui, comme pour attraper un enfant, guettant ses réactions. Ses yeux ne quittent pas les miens mais lorsque mes mains sont presque à le toucher il se met à hurler en poussant des cris perçants ! Terrifié je retire mes mains. Les cris s'arrêtent. Je guette les bruits de la maison, personne ne semble avoir été réveillé. Le cri a déchiré l'air et il règne maintenant un silence accablant. Je respire, tente de calmer les battements frénétiques mon cœur. Je repose mes yeux sur le singe et le voila qui se met à sauter en tous sens. Je me précipite sur lui mais, insaisissable, il m'échappe et renverse dans un fracas épouvantable le contenu des étagères. Je parviens à fermer la porte et à le bloquer dans la cuisine. J'attend qu'il se calme. Dans vacarme affolant, le contenu des étagères est fracassé au sol, les murs sont éclaboussés de nourriture et plusieurs verres brisés couvrent le sol. Le singe est immobile sur le carrelage, les yeux à nouveau tourné vers moi, il me surveille autant que l'inverse. Je m'approche de lui mais lorsque je dépasse une certaine distance il pousse à nouveau ses hurlements perçants. Mes oreilles sifflent sous la violence des cris. Sonné je recule et m’appuie à la porte, le crâne vrillé par la douleur.
Une haine terrible m’envahis alors, les mâchoires serrées à m'en faire mal je saisis un couteau de cuisine dans l'évier. Le singe ne bouge pas, le regard aveuglé de colère je me jette sur lui. Il hurle en sautant en tous sens sans s'arrêter, de placard en étagère, cassant presque tout ce qu'il touche et je le poursuis en entaillant rageusement l'air. Je le touche plusieurs fois, il saigne à plusieurs endroits et fait pleuvoir des gouttes rouges sur les bris de verre et les emballages éventrés. Ses hurlements s'amplifient et il tente maladroitement de me griffer. Ignorant les coupures qui zèbrent mes bras je redouble d'effort, frappant aveuglément l'insaisissable silhouette.
La pièce est sans issue, le singe va pour me mordre au poignet mais déjà ses gestes se ralentissent. Les plaies semblent apparaitre spontanément sur son corps, le sang colle son pelage brun, mon bras qui tiens le couteau s'engourdit à mesure que je frappe. Ses yeux se troublent et il claque ses dents dans le vide, une écume pourpre aux lèvres. Il se tord maintenant sur le plan de travail, ses membres s'agitent d'une manière ridicule, étalant son sang autour de lui. Je frappe encore, les cris faiblissent, ne sont plus que des souffles tandis que mes mains ruissellent, rougissant davantage le sol de la cuisine.
Un dernier spasme agite ses mains griffues puis ses yeux s'immobilisent, comme une ampoule qui s'éteint lentement, avec une dernière lueur rougeâtre en son sein. L'étincelle s'éteint, l'air se change en plomb.
J'ai très chaud, le sang affleure sous ma peau, rougissant davantage mon visage. Ma respiration me semble plus bruyante qu'une turbine d'hélicoptère, mes bras engourdis sont comme anesthésiés, je sens mon souffle qui brûle ma poitrine. La peur et la rage rongent mes entrailles, je suis seul.
Mes pieds nus sentent à nouveau le carrelage froid et mon corps, trempés de sueur et de sang, frissonne.
Soudain un terrible sanglot me brise comme une vague et mes de mes yeux jaillissent des flots de larmes brûlantes, effondré je tombe à genoux devant le corps inerte, aussi vide qu'une poupée de chiffon. Les pleurs roulent sur mes joues comme le tonnerre, ma main droite lâche le couteau sur lequel elle était crispé et avec une infinie précaution je soulève le cadavre du singe. Cette créature si bruyante, si nerveuse, ses muscles secs et ses doigts crochus, avec une force surprenante pour sa taille, me semble peser à peine plus qu'une lettre d'amour. Ses traits si effrayants sont à présent relâchés, ses membres agiles disloqués et ses blessures collent son pelage. Qu'ai je fait ? Ce petit animal effrayé, perdu dans un environnement inconnu, que va dire ma femme ? Que diront mes amis ? mes voisins ?  
Qui pourrait croire ça ? Non pas cette étrange rencontre, mais bien l'abject furie avec laquelle il s'était déchainé sur un petit être apeuré.
Non c'était moi. Mes larmes n'en finissent plus, je serre contre moi le cadavre d'un singe, entouré d'innombrables débris de ce qui était notre cuisine et qui ressemble désormais à un abattoir abandonné. J'ai l'impression d'avoir tout perdu, jamais de ma vie je n'ai tant souhaité revenir en arrière. Ce que j'ai vu cette nuit là, ce que j'ai fait, j'aurais souhaité qu'un autre s'en salisse. J'aurais aimé être ce singe, périr sous la rage, n'avoir été qu'une victime, plutôt que l'auteur du carnage.
J'avais juste besoin d'un verre d'eau.






Image : Simian Operation by RabidArt

mardi 16 avril 2013

Je creuse mes heures




Rageusement, les mains pleines de crasse, les bras usés par la hargne, je m'enterre dans le long temps, je m'engraine dans un désert de sel. Je m'enterre dans cette matière meuble, ferme les yeux du ciel et creuse, creuse, creuse.
Je creuse mes heures, jusqu'à que le trou me dépasse, que des obstacles jaillissent des murailles, des impasses en failles, de montagnes en épaves, fermer chaque porte de mon cerveau, la tête la première dans le caveau.
Que le temps me fuie, que le sommeil me renie, laissez mes ongles gratter la poussière, chercher des pierres de sang, laissez mes idées se tamiser, que j'abreuve mes doigts d'or.
Que la lumière se cache, que la douleur soit partiale, ma pensée est petite, courbez vous avant d'entrer. Tordez vous, masquez vous, dansez dans le Feu, crachez vos réalités dans les cendres, regardez moi, regardez vous, qui veut descendre plus bas encore ?
Qui se crèverait l'oeil qui a vu le mal, qui trancherait la main voleuse, qui choisira la peur plutôt que la douleur ?
Ne regardez pas les brèches de vos murs, creusez encore, allongez la cheminée, enfermez le soleil dans le puits.
Rien ne bouge ici, n'existe que ce que je touche, n'est réel que ce que j'éclaire, un lent bourdonnement dans mes oreilles.
Parfois la lumière poignarde mes yeux, parfois une colonne d'air frais décharge ses odeurs, des voix griffent mes tympans.
Alors je continue, la tombe est profonde, au bout du chemin l'éternité, vide, froid, calme. J'ai peur alors je continue, la clepsydre à ma poursuite, je creuse encore, je creuse mes heures.




Image : Burzum

lundi 15 avril 2013

Caveau




Le cristal s'emplit du rubis, et le voila qui commence, laisse l'éther noyer sa cervelle, laisse le fiel ronger son corps, l'encre baver, la jambe vaciller tandis que le ciel se voile les yeux. De tremblements en bourrades, le voila qui chasse dans les murs, apostrophe l'air ambiant, et me fixe de ses yeux rougis où brûle un sinistre feu d'une terre lointaine.
Cliquetis d'outils dans la faïence, vagissements d'enfants malade sous la sale lampe à huile et sa fumée opaque. Rivés au séant, accoudés,  gentil bétail familial, évite sagement le regard de l'autre. Un maigre tubercule dans le bouillon clair dans l'assiette.
En voici un autre qui se lève, l'aîné que l'age rend bravache, le grand dépeigné, fugueur et aboyeur. Il se lève en vertu de son rang, le père présentement assène une sévère remontrance au tabouret qui l'a fait chuter. La vieille ne dit rien, ne dit jamais rien, aspire sa soupe d'une main tremblotante, comme si l'assiette était posée sur un fil menaçant de rompre. A nouveau elle répand la mixture sur son répugnant tablier. La mère s'en occupera, ces tâches ingrates s'accordent avec les flots de haine que ses dents contiennent derrière ses lèvres pincées.
Les deux derniers se sont réveillés. Cris et jurons, le père se relève avec fracas, l'air est empli de fumée, l'autre maladif, la mère tiens l'eau de mort, il se vautre dans son assiette, elle part prendre le lait, bavant, glapissant les sons inarticulés qu'il connait, c'est qu'elle rajoute de l'eau de mort dans le lait des enfants.
Ils dorment, et les démons délaissent le corps de mon père, avachi sur le sol.
La vieille scrute le fond de la coupelle, attendant la pluie de soupe sans doute. La cuillère me semble avoir meilleur gout que ce qu'elle contient. Le dépenaillé est parti pour de bon, il reviendra lorsqu'il aura moins de fierté que d'argent.
Voila qu'un oeil me fixe, je mange secrètement ma soupe, troublant aussi peu sa surface que l'air ambiant. L'oeil se détourne. En voici un autre, injecté, le père invertébré qui se secoue. Ses pauvres efforts se muent en spasmes, tremblements de vent, délire manuel, le voila qui danse sa gigue funèbre, le cou crispé autour de la corde qui l'attend. La marâtre s'éclipse, un vautour dédaignerait cette carcasse. La vieille se croyant seule quitte sa chaise, famélique évadée d'une prison troglodythe, qui titube face au soleil oublié. Les yeux au ciel elle enjambe les enfants endormis. La marâtre reviens, un flacon de laudanum pour le père, un regard mauvais pour l'ancêtre.
Mon assiette est vide, je suis seule à table. Je me lève poliment et adressant quelques formules et gestes de politesse que personne n'entend, je quitte le caveau familial.




Image : Summoning, Lugburz

lundi 25 février 2013

Dérive




Tout a-t-il déjà été écrit ? Non ? Alors d'où viennent ces sages pleins de rages, pourquoi nos lettres meurent elles dans l’indifférence généreuse ?

Il me semble que cela fait si longtemps, dire quelque chose ? Ne me passez pas l'expression, je ne saurais quoi enfer. Que les pages apportent l'encre, la feuille noirci déjà, elle est presque sèche. Que les armes coulent, que l'on achève la faim, que nous puissions enfin vivre de bon air. Cela s'entend il lorsque l'on prie ? Combien de temps dure une trace ? A croire que les questions ont été inventées avant les réponses.

J'allume une bougie imaginaire, chasse un rêve qui ne l'est pas et scrute le mur comme j'observerai une carte. Vous êtes ici.

J'entend de ridicules notes de piano, peut-être la pluie qui tombe dans mon thé. Ma jambe s'agite sans autorisation et mes pensées vont de si en la, bercées par le ronflement de ma respiration. Me serais-je endormi sans l'entendre, est-ce un rêve ? Ai-je lu si dérangé ? J'ai lu six dieux, j'ai vu ces lieux, lié ces vieux livres, aux vertus si vides.

La fumée bleuâtre se tord de rire au bout de mes doigts, je ressemble à une vieille locomotive oubliée, une lanterne sans porteur. Le temps va en s'étalant sur mes yeux ternes, assommés par une ancienne torpeur.

J'aimerais que l'on me rêve.





dimanche 3 février 2013

Une voiture viens d'entrer dans une station service fatiguée, battue par la pluie et le vent glacial. Les arbres se tordent et hurlent, l'eau se précipite en rugissant sur le toit en tôle. La machine est automatique, aucune lumière n'éclaire les vitres criblées par la pluie.
C'est la fin, le bout du chemin. Un homme descend de la voiture et se dirige lentement vers la pompe, sans se soucier des éléments qui se déchainent au dessus de lui. Ses souvenirs sont flous, la seule chose dont il soit sur c'est la douleur, celle qui imprègne son bras gauche et fait saigner chacune de ses pensées. Quelques images terribles lui parviennent parfois, s'imposant à ses yeux comme si la scène se déroulait devant lui encore et encore.
La main crispée sur la poignée de la pompe fichée dans son réservoir il scrute les environs d'un œil vague. Quelque chose en lui, comme le conseil d'un médecin, lui dit qu'il faudrait manger quelque chose, malgré la souffrance et la nausée qui lui déchirent la gorge. Mais non, la seule machine en activité et celle qui viens de lui débiter sa carte bleue. Sa cheville lui fait mal maintenant, il ne s'en était pas aperçu avant.
Le réservoir plein, il referme le panneau qui en garde l'ouverture et se dirige machinalement vers l'avant du véhicule. Il soupire à la vue de l'aile droite défoncée et sa réaction lui parait ridicule et dérisoire. Il lui semble que son crime est écrit dans le sang qui macule encore la carrosserie et la vitre passager. Il ruisselle, entrainé par la pluie, formant sur le sol des volutes rosées, un pinceau d'aquarelle que l'on trempe dans un verre d'eau. Il ne sait pas comment réagir, il lui semble même que ce n'est que sa voiture qui est blessée, que ce sang est le sien.
La portière grince quand il regagne le siège conducteur. Le visage trempé d'eau et de larmes, ses vêtement réduit à l'état d'éponges il reste un instant suspendu dans le calme de l'habitacle. La pluie martèle doucement le toit et le vent n'est plus qu'un murmure et une chaleur moite y règne.Il contient avec peine les sanglots qui lui brûlent les yeux et tourne la clé de contact, comme s'il espérait qu'elle ouvre une issue. Mais il n'y en a aucune.
Il était hors de question d'échapper à son crime, il était impensable de l'affronter, il était impossible de mourir et il n'y avait nul part ou aller. Le monde qu'il peut contrôler se limite au volant de cuir auquel il se cramponne telle une bouée. Il a envie de rouler pour l'éternité, ne jamais rien faire d'autre que voir défiler les kilomètres sur le cadran et faire le plein d'essence. Il sait qu'il ne peut pas alors à quoi bon s'en rappeler ?
Il reprend sa route vers nul part, laissant la station service solitaire quelque part dans son rétroviseur. Il écoute le vrombissement entêtant du moteur et tout ces bruits agitent ses souvenirs. Il entend le crissement du caoutchouc sur le bitume, il hume l'odeur acre qui emplissait l'atmosphère, les corps disloqués qui craquent sous ses roues. Les yeux écartelés d'effroi de ces victimes, son muscle froissé lorsque son bras s'est crispé sur le volant, tailladé par la ceinture de sécurité, le choc, effrayant. Ce n'était pas un choc impressionnant, il signifiait que la voiture lancée à pleine vitesse ne leur avait laissé aucune chance.
Que c'était-il passé ensuite ? Il n'en avais aucune idée. Sa voiture entrait dans une station service fatiguée.
Le panneau qu'il venait de croiser indiquait une sortie d'autoroute. C'était là qui fallait se rendre, c'est là que la page allait se tourner. Les yeux fixes, comme un somnambule il distingue les lumières du péage. Des lumières rouge et bleue fouettent son pare-brise, des gyrophares hurlent et une foule de silhouettes floues accourent vers sa voiture.
L'homme prend une profonde inspiration, réduit l'allure et coupe le contact. Il contemple la scène à travers la vitre troublée par la pluie et murmure : "Je suis un Enfant du Seigneur, et un jour quelqu'un racontera mon histoire".

mardi 1 janvier 2013

Le monstre de l'orage




Mon vieux lit en bois qui grince. Cette chambre au carrelage froid. Un jour je m'y suis réveillé en pleine nuit, complètement désorienté, incapable de me repérer dans l'obscurité, cherchant à tâtons la lumière. Les murs paraissaient se refermer sur moi et le moindre objet que je heurtais semblait avoir été placé là dans le but de me piéger. Depuis, bien qu'elle me soit familière et agréable, j'ai toujours regardé cette chambre avec une pointe appréhension.
Cette nuit-là a été très particulière. J'étais très jeune, moins de dix probablement. Je dormais avec mon petit frère dans le lit superposé qui croassait tel un corbeau malade. Dehors c'était l'orage et l'obscurité, le froid et la pluie. J'entendais le tonnerre à travers les épais volets de bois. C'est lui qui me réveilla au beau milieu de cette nuit hostile. Je décidais de me rendre au toilette, je descendis avec d'infinies précautions mon bruyant lit et me dirigeais vers la porte, dans les ténèbres, les pieds engourdis par le froid du carrelage.
Lorsque je l'atteins je sortis dans le couloir, les yeux tournés vers la porte. C’était une porte de bois et de verre épais. Elle avais l'air à la fois très robuste et fragile, on voyait à travers mais les carreau rectangulaires troublaient les silhouettes comme une émission télévisée cryptée. Cette nuit là elle laissait passer les éclairs qui zébraient de leur lueur froide les murs du couloir. Le tonnerre faisait parfois vibrer les gonds de la porte.
J'allais détourner mon regard et me diriger à l'opposé, vers la salle de bain, lorsqu'il se produisit quelque chose de très étrange et un peu effrayant. Aujourd'hui encore, avec le recul des années, je ne sais pas ce que j'ai vu ou ce qui pourrait l'expliquer, et rejeter toute explication irrationnelle ne m'en fournit pour autant aucune de convaincante.
Le tonnerre roulait encore de l'éclair précédent lorsqu'un nouveau a violemment éclairé la porte vitrée. C'est alors que je vis à travers celle-ci une forme étrange, en ombre chinoise. On aurait dit un talus planté d'herbe folle, une masse ronde et irrégulière hérissée de pointes souples, tels des poils épais ou des tiges de plantes.
Cette image s'est imprimée distinctement à travers la vitre sous mes yeux pétrifiés. Puis l'obscurité a de nouveau envahi le couloir froid tandis qu'un grondement saluait la foudre. Il ne fallut que quelques secondes pour qu'un autre éclate, éclairant de nouveau la porte. Mais cette fois il n'y avait rien, exactement comme il se devait.

Mon souvenir s'arrête ici et j'ai eu beau le retourner dans tous les sens je n'ai jamais su ce que j'avais vu.



Image tirée de la nouvelle A monster calls de Patrick Ness