lundi 25 février 2013

Dérive




Tout a-t-il déjà été écrit ? Non ? Alors d'où viennent ces sages pleins de rages, pourquoi nos lettres meurent elles dans l’indifférence généreuse ?

Il me semble que cela fait si longtemps, dire quelque chose ? Ne me passez pas l'expression, je ne saurais quoi enfer. Que les pages apportent l'encre, la feuille noirci déjà, elle est presque sèche. Que les armes coulent, que l'on achève la faim, que nous puissions enfin vivre de bon air. Cela s'entend il lorsque l'on prie ? Combien de temps dure une trace ? A croire que les questions ont été inventées avant les réponses.

J'allume une bougie imaginaire, chasse un rêve qui ne l'est pas et scrute le mur comme j'observerai une carte. Vous êtes ici.

J'entend de ridicules notes de piano, peut-être la pluie qui tombe dans mon thé. Ma jambe s'agite sans autorisation et mes pensées vont de si en la, bercées par le ronflement de ma respiration. Me serais-je endormi sans l'entendre, est-ce un rêve ? Ai-je lu si dérangé ? J'ai lu six dieux, j'ai vu ces lieux, lié ces vieux livres, aux vertus si vides.

La fumée bleuâtre se tord de rire au bout de mes doigts, je ressemble à une vieille locomotive oubliée, une lanterne sans porteur. Le temps va en s'étalant sur mes yeux ternes, assommés par une ancienne torpeur.

J'aimerais que l'on me rêve.





dimanche 3 février 2013

Une voiture viens d'entrer dans une station service fatiguée, battue par la pluie et le vent glacial. Les arbres se tordent et hurlent, l'eau se précipite en rugissant sur le toit en tôle. La machine est automatique, aucune lumière n'éclaire les vitres criblées par la pluie.
C'est la fin, le bout du chemin. Un homme descend de la voiture et se dirige lentement vers la pompe, sans se soucier des éléments qui se déchainent au dessus de lui. Ses souvenirs sont flous, la seule chose dont il soit sur c'est la douleur, celle qui imprègne son bras gauche et fait saigner chacune de ses pensées. Quelques images terribles lui parviennent parfois, s'imposant à ses yeux comme si la scène se déroulait devant lui encore et encore.
La main crispée sur la poignée de la pompe fichée dans son réservoir il scrute les environs d'un œil vague. Quelque chose en lui, comme le conseil d'un médecin, lui dit qu'il faudrait manger quelque chose, malgré la souffrance et la nausée qui lui déchirent la gorge. Mais non, la seule machine en activité et celle qui viens de lui débiter sa carte bleue. Sa cheville lui fait mal maintenant, il ne s'en était pas aperçu avant.
Le réservoir plein, il referme le panneau qui en garde l'ouverture et se dirige machinalement vers l'avant du véhicule. Il soupire à la vue de l'aile droite défoncée et sa réaction lui parait ridicule et dérisoire. Il lui semble que son crime est écrit dans le sang qui macule encore la carrosserie et la vitre passager. Il ruisselle, entrainé par la pluie, formant sur le sol des volutes rosées, un pinceau d'aquarelle que l'on trempe dans un verre d'eau. Il ne sait pas comment réagir, il lui semble même que ce n'est que sa voiture qui est blessée, que ce sang est le sien.
La portière grince quand il regagne le siège conducteur. Le visage trempé d'eau et de larmes, ses vêtement réduit à l'état d'éponges il reste un instant suspendu dans le calme de l'habitacle. La pluie martèle doucement le toit et le vent n'est plus qu'un murmure et une chaleur moite y règne.Il contient avec peine les sanglots qui lui brûlent les yeux et tourne la clé de contact, comme s'il espérait qu'elle ouvre une issue. Mais il n'y en a aucune.
Il était hors de question d'échapper à son crime, il était impensable de l'affronter, il était impossible de mourir et il n'y avait nul part ou aller. Le monde qu'il peut contrôler se limite au volant de cuir auquel il se cramponne telle une bouée. Il a envie de rouler pour l'éternité, ne jamais rien faire d'autre que voir défiler les kilomètres sur le cadran et faire le plein d'essence. Il sait qu'il ne peut pas alors à quoi bon s'en rappeler ?
Il reprend sa route vers nul part, laissant la station service solitaire quelque part dans son rétroviseur. Il écoute le vrombissement entêtant du moteur et tout ces bruits agitent ses souvenirs. Il entend le crissement du caoutchouc sur le bitume, il hume l'odeur acre qui emplissait l'atmosphère, les corps disloqués qui craquent sous ses roues. Les yeux écartelés d'effroi de ces victimes, son muscle froissé lorsque son bras s'est crispé sur le volant, tailladé par la ceinture de sécurité, le choc, effrayant. Ce n'était pas un choc impressionnant, il signifiait que la voiture lancée à pleine vitesse ne leur avait laissé aucune chance.
Que c'était-il passé ensuite ? Il n'en avais aucune idée. Sa voiture entrait dans une station service fatiguée.
Le panneau qu'il venait de croiser indiquait une sortie d'autoroute. C'était là qui fallait se rendre, c'est là que la page allait se tourner. Les yeux fixes, comme un somnambule il distingue les lumières du péage. Des lumières rouge et bleue fouettent son pare-brise, des gyrophares hurlent et une foule de silhouettes floues accourent vers sa voiture.
L'homme prend une profonde inspiration, réduit l'allure et coupe le contact. Il contemple la scène à travers la vitre troublée par la pluie et murmure : "Je suis un Enfant du Seigneur, et un jour quelqu'un racontera mon histoire".