mardi 28 mai 2013

Une ville



Une nouvelle ville, plus grise encore que la précédente. Mes pas trainent dans la poussière qui recouvre les pavés, en ignorant les passants il me serait facile de croire à une ville fantôme, abandonnée suite à un quelconque cataclysme.
Ici ne sont que visages fermés, sourires séquestrés, rictus rouillés, leurs faces semblent creusées, criblées par les obus de la vie. Ces rides, ces marques, ces cicatrices, ces tâches de vieillesse, ce nez rougi, ces pommettes congestionnées, leurs yeux m'épient derrière les volets de leurs paupières. Quelques silhouettes décharnées sur un banc, à croire qu'elles étaient là avant lui, ces hommes à la terrasse d'un café qui ressemble à un bunker de la seconde guerre, même le Soleil ne daigne pas regarder dans notre direction.
Je continue d'aligner mes pas, je sens leur regard qui coule sur moi comme du vinaigre, leurs mimiques monstrueuses, leurs lèvres s'agitent comme des mollusques indolents, crachent quelques mots sur mon passage. Je presse le pas, j'ai presque dépassé le café, je sens leurs yeux vrillés sur mon dos, une douleur me serre les épaules comme s'ils me plantaient leurs vilaines cannes entre les omoplates. Du coin de l'oreille j’entends des chaises que l'on déplace, des murmures puis un bruit sec, il se répète, je l'entend encore, un bruit sec et régulier.
De ma main droite je serre les pans de ma robe et presse encore le pas, ils me suivent à présent. J'arrive à une petite place, j'ai l'impression d'être tombée dans un cendrier. Un monument informe, monolithique, grisâtre, est érigé en son centre, des noms de morts précipitamment gravés, tout autour les mêmes bancs de pierre, massifs eux aussi, utilitaires, on dirait des pavés plus gros que les autres. Je fais voler la poussière sur mon passage, elle envahit tout, mes cheveux, mes yeux et encrasse mes ongles, je prend la première rue qui s'offre à moi.
J'entends de nouveau le petit bruit sec de leurs cannes qui les précédent, furetant entre les pavés comme un sinistre tentacule. J'avance entre les sacs poubelles qui jonchent la rue, mes talons trébuchants sur les papiers gras et les immondices. Je parviens peu à peu à distancer mes poursuivants, peut-être fatiguent-ils, ou peut-être suis-je dans une impasse. Non le passage fait un angle et je peux entendre les bruits d'une grande avenue.
Courant presque je dépasse l'angle et dans un grand froid je sens le regard acide des hommes en face de moi. Mes jambes s'arrêtent d'elle-même, tremblante comme si elles étaient animées de leur propre peur et de la sueur aigre perle à mon front. Pétrifiée de terreur j'entends le petit bruit sec qui se rapproche de tous cotés. Mes poursuivants arrivent lentement, leurs yeux me perforent comme des doigts qui retournent une plaie béante, ils fouillent dans ma bouche, tirent sur ma robe, agrippent mes cheveux  et dégoulinent sur mes jambes.
Mes oreilles n'entendent plus qu'un sifflement tandis que mes yeux perçoivent de grandes tâches noires. Mes jambes cèdent et m'écrasent au sol, soulevant un nuage de poussière. Il flotte une odeur de cendre.






Image : Zamak (http://zamak.fr)

dimanche 19 mai 2013

Cycle




Les mains liées, le souffle court, les muscles tendus. Trébuchant, alignant des petits pas précipités.
Une course circulaire et perdue, le souffre coule, de ses poignets la corde se défait.
Le ciel au dessus de lui a cette étrange couleur mauve, si neutre qu'on oublierai qu'il est là, le sol est à peine plus tangible, de maigres buissons de doigts l'ébouriffent par endroits, et c'est à peu près tout.
Ses pas tournent en rond, il danse sur un vinyle, petite pointe de diamant qui raye les parois de son crâne. Quelques notes aigrelettes lorsqu'il trébuche, quelques croches, quelques blanches, le voila qui titube comme un somnambule, le voila qui tâtonne telle une chauve souris aphone.
Il a beau tambouriner aux paupières, il ne trouve pas la sortie, au loin peut-être se dessine elle-même une maison, disons un cube de ciment car je ne sais pas vraiment dessiner. Il part, il glisse dans les rainures du disque sous son ciel violet, s'il tend la main un oiseau s'y pose. La maison est grande, murs gris comme prévus, mais toit effilé d'un pourpre profond, une cheminée y est plantée, comme un épieu fumant dans la tête d'un sanglier. Pour un peu on y verrait la fenêtre par laquelle il regarde. Pas de porte mais un trou sur un de ces murs, et à l'intérieur ? Pas grand chose, un lit de sangles, une chaise en bois rongée aux vers mais dure comme la pierre, une carafe d'eau claire à ses pieds. La fumée viens d'ailleurs, mais le plus étonnant c'est la vacuité de ce lit. Peu importe.
Il a déjà vu tout ça, il connait cet endroit. Il prend une nouvelle gorgée d'eau dans le pichet et sort de la maison nue. Ses pieds traînent le sol, la lumière décline, la tête basse, le cœur à bas, de guerre lasse, il reprend sa marche, contraint de la même manière que les secondes suivent les heures.
Les yeux creux il laisse le disque tourner à vide, sans y imprimer la moindre trace, il se laisse couler, une goutte de pluie. Cela fait si longtemps maintenant, il veut sortir, il en a assez, il a assez vu, assez vécu sous ce ciel mauve et muet, où est la suite ? Où sont les clochers, les routes, les arbres, où est le soleil ? Un vague trou dans sa mémoire, un tache brillante, quelques rayons qui percent les limbes, il est là, ce qu'il cherche. Qu'est ce que ça fait là ? Pourquoi cherche-t-il ici ? Le souvenir est trop loin, il a beau tendre la main il ne parviens pas à l'atteindre. De hurlements en regrets le voici qui s'éloigne, un froid mou le remplaçant, il n'a même pas pu voir sa forme, que cherche-t-il ? Où sont passées mes idées ? Le sol se dérobe sous mes pieds, mes jambes se contractent pour prévenir une chute fantasmée, mes bras s'agitent comme au fond d'un puit, la lumière, oui c'est ça qu'il cherche.
Les yeux s'ouvrent.

mardi 7 mai 2013

Le jeu des marteaux continue, ils frappent sèchement, les coups se succèdent dans les entrailles de métal et de bois. Les pièces s'entrechoquent sous l'impulsion de l'homme qui assène ses coups avec précision. Tout l'ouvrage tremble sous l'enchainement précis de ses gestes vifs, lui même paraît souffrir, la transpiration perle à son front tandis que ses doigts s'agitent en tous sens.
Enfin il s'arrête, dans un ultime assaut, laissant la pièce résonner des derniers soupirs de la mécanique.

Un jour je raconterai l'histoire du pianiste à qui l'on a tranché une main.