vendredi 28 juin 2013

La harpie



Elle était là, juste devant moi, grande silhouette sombre au regard perçant. Il faisait nuit, la sueur me perlait au front et dans le dos, j'étais dans mon lit, un cauchemar, je ne sais plus, et elle était là.
Au bout du lit, les mains jointes, à peine visible dans la pénombre, ses grandes ailes de nuit se fondait dans la chambre, masquant les timides étoiles par la fenêtre. Une odeur de mort se répandit dans la pièce, une effrayante puanteur de cadavre, de viande décomposée, de prison oubliée, l'air devins poisseux et ma bouche s’assécha avant d'avoir pu prononcer un son.
Ce fut elle qui parla, je devinais sa bouche décharnée derrière les replis de sa cape lorsqu'elle prononça mon nom. Il résonna comme une insulte dans le vide. Je restais stupéfait, mes yeux sonnèrent deux battements puis mes entrailles me semblèrent se déchirer de l'intérieur. Je me pliais en deux, en proie à une terrible nausée, ma bouche et ma gorge se contractèrent douloureusement, comme s’agiterait un chien qu'on égorge et des larmes trop grosses pour couler gonflèrent mes paupières.
Ma mémoire se tordait comme si on la torturait, elle cracha des noms, des époques, des lieux qu'elle cachait là où ils ne pouvaient pas déranger. La moindre de mes actions se couvrait d'une honte crasse, je vis toute la malveillance qui suintait de chacun de mes actes, mon hypocrisie en protégeant ceux que j'aimais, mes mensonges en embrassant mon reflet. Je finis par vomir au bas du lit, révulsé de haine envers mon être, brûlé de remords. Je frappais le matelas, le cadre en bois, les murs à ma portée, souhaitant détruire en me détruisant, comme un hurlement j'entendais toutes les horreurs que j'avais pu dire et penser, amplifiée, chaufée à blanc, plaques de métal sur ma peau et larmes bouillantes.
La rage finit par refluer, ne laissant que le marais du désespoir, puis, telle la pluie qui tombe subitement au premier coup de tonnerre, la détresse la plus totale envahit mon âme.
Je sentis alors une odeur, partout autour de moi, comme un cocon d'araignée. C'était l'odeur de mort de la harpie. Le dégoût que j'éprouvais dorénavant pour moi-même était tel que je fut irrésistiblement attirée par elle, comme lorsque tout parait chaud à une main que l'on a plongé dans la neige.
Je me levais et pris la main qu'elle me tendait. Elle me serra dans ses bras froid et ses ailes de nuit nous enveloppèrent.
Je vois parfois le soleil à travers ses plumes, alors je détourne mon regard et plonge ma tête dans ce parfum de mort. Si elle ne m'avais rien dit, comment aurais-je pu l'aimer.





Image : vulture by serdarturkoglu