dimanche 21 juillet 2013



Voila que ça me gratte, cet insecte dans mon cou. Mes mains blanches se tordent, tressent leurs doigts ensemble en une douloureuse araignée. Mon oeil vide se tourne vers l'horizon, je sens le vent qui s'engouffre dans l'orbite, comme un souffle court dans une flute en os. Je sens le soleil qui passe sur mon crâne, il y trace un sillon qu'il répète chaque jour.
En contrebas le sable coule, une éternelle cascade de poussière d'or qui tombe au pied du calcaire et je sens la montagne qui me regarde. Des dizaines de paires d'yeux se terrent dans ses rides, reniflent l'air avec méfiance, leur pupilles brillantes vers moi.
La douleur me ramène à la réalité, à cette rue boueuse où je suis affalé. Mes bras me paraissent des barres de ciment, je parviens à hisser une main molle à hauteur de mon visage. Je n'y vois presque rien, la vision plus brouillée que lors de la pire cuite de ma vie, mes doigts paraissent fondre lentement sur ma paume, comme des bougies ramollies par les heures. En tentant de soulager la douleur ils rencontrent le corps gonflé de la créature cramponnée à mon cou, sa bouche collée à ma carotide, secouant paresseusement ses anneaux et tortillant son corps de larve aveugle sur mon épaule.
En rencontrant la chair flasque du ver une nausée me monta accompagnée d'une peur panique. Quelle était cette bête répugnante, où me trouvais-je, pourquoi mes sens étaient-ils si perturbés ? La mémoire me reviens alors presque douloureusement, des images brèves, de l'argent qui change de main, de la répulsion, la promesse d'un voyage, l'accident.
Que cette main est lourde, elle porte une balle de métal bleuté. Une sphère parfaite. Le vent y laisse de minuscules éraflures en passant. Il trace des petites spirales, des chemins sinueux, plus délicatement que le plus habile sculpteur. En approchant la surface du métal de mes yeux j'y distingue des routes, des zones où les éraflures se rassemblent en villes, et cela se développe comme une fourmilière qui s'étend. Ce merveilleux objet me permet de lire le vent, ses mouvements invisibles n'ont maintenant plus de secrets pour moi. Mais le voila qui se fait moins lourd, le vent l'a si bien usé qu'il commence à fondre, il est si froid sur ma peau, le vent me glace, ma main est trempée de métal fondu.
Il fait nuit, quelle heure peut-il être ? J'ai le bras dans une flaque d'eau répugnante, la manche de mon costume y baigne jusqu'au coude. J'ai la tête lourde, enfermée dans un casque de coton, mieux vaux ne pas la bouger si je ne veux pas vomir, de toute façon je n'y vois rien, il fait sombre et le monde a le tournis. Qu'est ce qui pèse si lourd sur mon ventre ?
Je suis dans une grande plaine mauve, sous un ciel rose et un soleil bleu. Il tombe une pluie fine, totalement transparente, presque invisible, dont chaque goutte rebondit sans cesse sur le sol mou. Me voici au milieu d'un ballet de morceaux de verre liquide que mon corps absorbe comme une éponge. Ma soif, ma faim, ma fatigue disparaissent à mesure que j'avance, c'est un véritable déluge mais je suis sec, je me nourris par ce simple contact. Mon corps ne m'a jamais paru si jeune, je cours, envahi d'une énergie qui se renouvelle à chaque bond. Le sol mou rend chacun de mes sauts vertigineux et la pluie bienfaitrice abreuve chaque parcelle de ma peau.
Brusquement mon pied gauche s'enfonce jusqu'au genoux. Étonné je tente de le dégager mais cette matière mauve est maintenant dure comme la pierre.
J'ouvre à nouveaux les yeux sur une rue sinistre. J'ai l'impression d'avoir déjà fait ce rêve, appuyé contre un mur, les bras ballant et une démangeaison dans le cou. Son souvenir m'échappe, je suis maintenant allongé, mes bras ne bougent plus du tout, ma vue est un véritable maelström, je ne perçois que de vague forme et des couleurs vives. Quelle étrange situation, comment me suis-je retrouvé ici ?
Ma tête finit par rouler sur le pavé et je distingue une forme imposante gisant à mes cotés. On aurait dit un énorme sac oublié là. J'aimerais le toucher mais plus aucune sensation n'anime mon corps, comme dans un rêve. Je dois dormir.
Dans les dernières brumes de ma conscience je perçois une ultime douleur à la base de mon cou, une terrible impression de succion, de mon corps qui se vide, le froid qui imbibe mes membres.
Il pleut toujours, le soleil bleu caresse mes yeux, je suis couché sur le dos, les yeux vers le ciel, la danse de la pluie agite des milliers d'étincelles au dessus de mes yeux. Tels des pétales animés de volonté propre ils s'agitent, s’effleurent, s'évitent, se frôlent, éclaboussant mes yeux des reflets du ciel rose. Le sol mauve est chaud et tendre, des gouttelettes imbibent mes lèvres de leur légèreté. Je m'enfonce petit à petit, et la terre clôt mes paupières.







Image : growth by miles johnston