dimanche 17 novembre 2013

Résilience




Larmes et blessures s'inscrivent profondément dans le sable, elles en troublent la surface uniforme, on ne voit qu'elles, disgracieuses écorchures. Mais le sable coule, lentement, et recouvre les traces, il aplanit les hauts et les bas, comble les manques, atténue les excès, et fait glisser un doigt rêveur sur l'aquarelle encore humide de nos souvenirs. Marée perpétuellement montante, il laisse brièvement émerger les édifices que l'on y construit avant de les ensevelir à leur tour.
Nous flottons à sa surface, incapable de s'en affranchir, incapable de s'en saisir. Nous ne pouvons que suivre son courant, endurer ses remous, il est comme la pluie que vous ne vouliez pas voir tomber, indifférentes à vos maux et à votre poing tendu vers le ciel.
Telle la cendre qui s'abattit sur Pompéi, il fige nos souvenirs, se déverse dans notre mémoire comme du plâtre dans un moule.
On le voit comme un poison, injecté dans nos veines à la naissance, il fait vieillir nos corps, engourdit notre esprit et nos sens, on le cherche, on le perd, on en achète et on le gaspille, la course désespérée contre la trotteuse. Il se fait aussi panacée, espoir enivrant, rêves d'avenir, réconfortant feu de souvenir, ou encore médecin patient, capable de panser les plaies les plus profondes.
Il régit nos vies plus que tout autre chose, il est une fortune que l'on investit sans espoir de profits, un bien dont on profite sans jamais en être le maître.
Il est craint et convoité, l'Alpha et l’Oméga qui fait et défait toutes choses, nourrit puis dévore, broie indifféremment le colosse comme le petit. Pourtant, si nombreux furent ceux qui tentèrent de lui résister, nul ne s'est hasarder à le prier, à le vénérer, jamais le ciel ne fut obscurcit par un temple à son nom, ni aucun chant à sa gloire n'atteignit le ciel.
Peut-être dès notre plus jeune âge comprenons-nous que cette constante ne saurait-être altérée et qu'il est aussi vain de l'implorer que de poursuivre le vent.
Ainsi nous courbons l'échine, tremblant de peur à l'idée de notre fragilité, nous nous agitons sous la domination absolue de ce maître que nous feignons de ne pas voir. Comme les nombreuses choses face auxquelles nous sommes impuissants, nous préférons l'oublier mais chaque jour, la marée monte.



vendredi 1 novembre 2013

La fleur-I



Un chemin de pierre dans une forêt, des cordes dans les arbres, des signes sur la roche, une lune pâle et des étoiles plus pâles encore. Le sentier serpente entre les troncs, se couvre par endroit de feuilles, dérive d'un fossé à l'autre, disparait parfois, laissant ses vieux pavés se dissoudre dans l'humus. Si vous souhaitiez vous en écarter la brume occulterait vos yeux et vos mains ne rencontreraient qu'un mur d'écorce. Le chemin se suit, tel un long et vorace serpent.
Au bout du voyage une clairière nimbée par la lune et les limbes, un antique puits émerge mollement de l'herbe, coiffé d'un arbre fatigué qui semble regarder au fond du gouffre humide. Si vous désiriez avancer vous seriez charmé par la douceur des plantes sous vos pieds, le vent parfumé et la fraicheur de l'obscurité. Vous pourriez vous pencher au bord du puits, tenter d'apercevoir ce qu'il contient.
Vous y verriez des fleurs, ternes, grisâtres, exsangue, elles poussent moribondes, sans but, ne devant leur présence qu'à l'eau qui ruisselle sur la muraille. Sans cette eau jamais leurs graines n'auraient eu la folie de pousser dans cette ombre moisie. Peut-êtres ces fleurs haïssent-elles cette eau qui les maintiens en vie, tel un tortionnaire s'assurant que sa victime ne se laisse pas mourir de faim. Cette demi-vie doit leur être un long et inutile calvaire et leur nectar brûler comme de l'acide.
L'une d'elle est différente, elle pousse au juste milieu de l'orifice et profite donc de quelques généreuses heures de soleil. La vie transpire de ses pétales colorés et ses formes se dressent fièrement vers le bout de ciel qui les surplombe. Son parfum lourd baigne tout le fond du puits, écrasant même la pire charogne par sa présence, toutes les autres fleurs semblent tournées vers elle et l'envier en secret. Cette fleur est une moquerie cruelle pour toutes les autres, quelqu'un se serait-il amusé à jeter des graines en pariant sur celle qui s'en tirerait le mieux ? La raison de leur ressentiment est bien pire hélas, car la bénie du soleil dispense également un nectar plus sucré que le miel aux insectes qui ne manquent pas de répondre à l'appel de son parfum. Cette fleur assure ainsi sa reproduction ainsi que celle de toutes ses rivales, prolongeant leur supplice sur plusieurs générations.
Au fond du puits elle fait danser ses pétales dans les rayons d'un soleil qui ne brille que pour elle, elle fait rouler les gouttes de rosée sur sa peau, éclatants de lumière comme autant de joyaux qui la parent, une légère poudre d'or la maquille et sa tige ondule depuis le sol où elle est enracinée, enchainant ses soeurs. Une cruelle mère maquerelle, qui use d'elles afin d'ajouter la domination aux autres dons que le soleil lui a fait. Toutes la corolle tournée vers elle, piteuses, blafardes, l'humidité se condense sur leurs pétales fripés comme si elles pleuraient leur douleur, en silence, condamnées à la survie, donnant tout à quelqu'un qui n'a besoin de rien.

Vint un jour où le soleil était particulièrement généreux et couvrait sa protégée de ses plus riches bijoux. La chaleur au fond du puits était étouffante et amplifié par le parfum capiteux de la fleur, de rares oiseaux passait dans le ciel et les insectes dans les herbes sèches, à l’extérieur, faisait un bruit assourdissant.
Une ombre passa soudain, interrompant les flatteries du soleil. La fleur se dressa, courroucée devant l'outrage tandis que son cercle d'esclave relevait timidement la tête. L'ombre se fit plus grande, plongeant presque le puits dans les ténèbres et s'abattit sur l'orgueilleuse.
Dans le silence des murs de pierre, une main avait arrachée celle que toutes haïssaient.





Image : redsoil