dimanche 23 février 2014

Saison



Ci-gît dans l'âtre la morne saison.
Le bois détrempé semble une viande faisandée, elle s'amollit lentement, dans l'humidité.
Un vers, un de ces noirs compagnons circule de part et d'autre de la chair végétale, glisse dans la matière spongieuse comme un œil dans son orbite. Même le feu ne saurait animer cette carcasse, avachie sur un lit de feuilles épais comme la nuit.
Ce moignon de bois semble fondre, se dissoudre dans la fange qui le berce, agité de vivants qui mangent la mort.
Des linges flottent dans le vent inquisiteur. Leur silhouette décharnée, piteuses imitations des êtres qui les ont portés. Le temps et ses épreuves en ont distendus les fibres, le froid et la brise y glissent leurs doigts malicieux jusqu'à pouvoir passer à travers, tels les oriflammes pervertis de guerriers saints.
Ici rien ne presse, les choses changent lentement. Les années passent à leur aise, dans les terrains conquis que sont les déserts comme celui-ci. La seule vie y est rampante, aquatique, végétale. Nul oiseau ne trouble l'air, nul animal ne creuse le sol de ses empreintes. La brume et les songes veillent jalousement sur ce lieu, un sanctuaire que l'on souillerait aussi vite que le silence peut être brisé.
Un froid tenace, une lame de gel qui enserre jusqu'à la plus petite chose, un esclavagiste qui tire toute la vitalité de ses victimes, un bourreau patient. Le froid se cache derrière un arbre, dans une goutte de pluie, dans une bourrasque griffue. Il annexe tout ce que ses mâchoires atteignent, votre nez, vos oreilles. Il lèche vos doigts, engourdi vos pieds et pince votre peau de ses mains grêles. Il plonge en vous lorsque vous respirez, il sait qu'il finira par s'y faire une place. Comme un nostalgique veilleur de réverbères, il étouffe patiemment chaque petites flammes qu'il croise.
Cet endroit est immergé dans un sommeil insondable. Un sommeil que l'on prendrait pour la mort elle-même, froid, immobile, figé. Les arbres attendent le soleil, les vieux vêtements des vents plus cléments et sous la terre de jeunes pousses attendent leur heure.




Image : NightForest by Eredel