vendredi 9 mai 2014

Demain



Un horizon bleu, inamovible, inévitable, qui attire son regard jusqu'à tard le soir. Elle le scrute tous les jours. Quoi qu'elle fasse elle l'a toujours à l'esprit. Lorsqu'elle entretiens son potager, on peut la voir jeter des coups d’œils rapides par dessus son épaule vers la ligne vide. Si elle prépare un repas ses yeux vont et viennent à travers la fenêtre,et si elle va jusqu'à la ville, elle ne détache son regard attentif que contrainte et forcée par l'ombre des arbres qui finissent par l'entourer.
Lorsqu'elle ne parviens pas à s'occuper elle attend. Elle s'assoit sur une chaise, au bord de la falaise et surveille l'horizon.
Combien de jours, combien de mois se sont-ils écoulés ? Chaque seconde est un espoir qui meurt, chaque instant nourrit sa peur, chaque nuit solitaire à un gout amer de larmes. L'aurore lui parait de plus en plus terne, la pluie de plus en plus froide, et le labeur quotidien vide de sens.
Aucun son ne sort de ses mâchoires crispées et au dessus de ses joues creuses ses grand yeux anxieux, jadis si beau, ne trouvent jamais de repos. L'attente ronge petit à petit sa silhouette frêle, l'escalier de sa chambre la maltraite chaque matin, dehors le vent emporte son visage et il lui semble qu'à la moindre chute ses os se briseraient comme du verre.
L'horizon lui promet inlassablement des promesse aussi grandes que lui et l'horloge continue de lui faire crédit. Peu à peu le gardien de ses attentes occupe la majeure partie de ses journées, elle passe des heures perchée sur la falaise, bercée par la fureur des vagues en contrebas en foudroyant sa rivale du regard.
L'étendue cruelle est là, à perte de vue, multipliant les assauts sur la paroi rocheuse.
Et pourtant à la fin de la journée le soleil trouve un reflet dans ses yeux. Le soir cache l'horizon et ses promesses incessantes et dans les dernières lueurs elle murmure : "Demain, il reviens".
Mais une autre le lui a pris, jalouse et passionnée et l'a emporté lors de ce voyage qui devait être le dernier. La veuve esseulée s'érode comme la falaise où est bâtis leur maison. Elle l'attend demain.






Image : martin wittfooth

vendredi 2 mai 2014




Notre corps est aussi arbitraire que notre nom. Nous ne le choisissons pas, notre pouvoir sur lui est  limité et il nous suivra plus sûrement que notre ombre.
Notre corps ce n'est pas nous, c'est une enveloppe qui change sans notre consentement, que l'on peut tout juste cadrer. On s’accommode de notre nom, on l'aime ou on le désapprouve. Comme la chair, il faut bien être "représenté", que l'on puisse nous identifier, nous voir, percevoir notre existence. Ce ne sont que des interfaces. Le nom une interface avec notre société, le corps avec notre environnement.
Une interface imposée, arbitraire, dont on ne maitrise qu'une fraction. Elles peuvent toutes deux nous trahir, en faire trop, ou pas assez, nous masquer, nous protéger, nous dissimuler, façonner des illusions, mentir au monde et à nous même. Ces interfaces ne sont même pas nécessaire à la communication ou la cohabitation, elles servent des fonctions annexes, des moyens de vivre, de survivre mais ne constituent pas une fin ni ne permettent de l'atteindre.
Nous ne sommes pas notre métier, notre statut, notre âge ni notre race ni nos vêtements.
Nous ne sommes pas notre corps.
Nous ne sommes pas notre nom.





Image : Damnengine