mardi 19 mai 2015

Le froid reviendra




Le ciel se fait plus lourd, les jours plus courts. Le soleil ne nous regarde plus de la même façon, et le vent chante une autre chanson. L'eau change de camp, deviens menaçante, froide, elle plante son humidité dans nos os.

Avez vous déjà été pourchassé par un cauchemar ? Après lequel chaque matin avait un gout de liberté, où la lumière devenait la clé de la prison nocturne. Un rêve qui vous hante chaque nuit, à chaque fois semblable et toujours plus effrayant. Plus vos pensées et vos peurs le voient plus votre vie rétrécit. Il enfle jusqu'à ce que vous ne puissiez voir que lui. Plus la lumière décline, plus votre esprit s'agite, se débat, mais il ne peut rien faire pour empêcher le Soleil de tomber.
La pluie tombe même dans ma tête, le niveau monte et noie mes émotions, que se passera-t-il si elle gèle ?
Parce que demain la lumière ne sera plus là, j'aimerai qu'il en reste des traces que je puisse suivre, une piste de rayons, un chemin de photons, jusque là où habite le Soleil, fuir hier sans tomber dans demain. Parce que le froid reviendra.







Image : sun demon par max hugo

dimanche 8 mars 2015

Lisse




C'est être un peu réveillé, un peu endormi, un pied sur terre, l'autre dans la lune. C'est y voir clair, mais sans couleurs. Les jours glissent comme sur un rail, entrent, sortent et l'on se trouve balloté sans résistance à travers les heures.

Être lisse c'est écouter avec la langue lourde, embrasser avec un coeur mou, suivre plutôt qu'avancer.
C'est une musique écrêtée, une voix un peu trop posé, un visage un peu figé.
Et le sommeil qui fait des pointillés, la gorge qui fait mal sous le poids du cachet.






image : Martin Wittfooth

jeudi 5 mars 2015

Enormité du monde




Parfois je m'arrête. Cela peut se produire n'importe où, n'importe quand. Je m'arrête et me sens assaillis par l'énormité du monde. 
En un éclair défile un condensé de l'Histoire humaine, de ce demi-primate glabre, tâtonnant, jusqu'au seigneur de la Terre d'aujourd'hui, capable de plier toute les réalités à sa volonté. Je me demande alors comment est-ce possible, et la moindre parcelle de notre quotidien me paraît plus incroyable que la vie elle-même. Nos objets technologiques sont si éloignés de l'état naturel qu'ils se parent soudain d'un voile de magie et je vois cet homme préhistorique donner forme au sable pour en tirer des voitures, des immeubles ou des satellites. Quelle absurdité, tout cela est allé beaucoup trop loin. 
En appuyant sur ces touches, et au terme d'inextricables interactions électroniques, mon écran se colorise par endroit pour former des lettres que vous lirez sur votre propre dalle lumineuse, elle même alimenté par de gigantesques structures captant la force des éléments. Saisissez-vous l'étrangeté de tout ceci ? La complexité et l'inventivité débridée de notre monde ? Chaque révolution autour du Soleil en ajoute une couche, rendant encore plus opaque la nature dont nous sommes issus, comme autant de filtres sur notre vue.
Non tout ceci est trop fou, cela ne peut exister, ces grandes routes bitumeuses, ces machines dont la moindre pièce en implique des dizaines d'autres, ces connexions sociales arbitraires qui nous unissent, je dois rêver, les choses ne peuvent aller si loin.

Et puis je repart, le moment est passé, peut-être a-t-il duré dix secondes. Les choses retrouvent leur place, leur raison d'être s'expliquent rationnellement, la logique s'écoule de chaque structures. Il redeviens normal de s'arrêter à un feu rouge, d'allumer un ordinateur ou de regarder des photos de la planète Mars sur notre télévision. Toutes ces choses existent, elles découlent de nos besoins, de notre expérience ou simplement de notre volonté de les réaliser.
Je reprend ma route et le sentiment se délite lentement à mesure que j'avance. 
Parfois je me retourne, ne sommes-nous pas allé trop loin ?




image : izu island

lundi 5 janvier 2015

Le verre d'eau



[je n'écris pas beaucoup en ce moment, et d'après mes statistiques ce blog est aussi fréquenté que la ville de Tchernobyl; ceci est donc un vieux texte, fruit d'un atelier d'écriture dont la consigne était : "remplissez un verre, dites moi ce que vous voyez".]


C'est la fin d'une journée d'été.
Le jour tombe lentement et un soleil brûlant effiloche les nuages qui subsistent. Sa lumière agonisante embrase la façade claire de la maison lorsque, épuisé et à bout de souffle, j'en passe le porche. Le voyage retour a été long. Je prend un verre.
C'est un des verres que je n'aime pas. Vous savez, celui que vous choisissez en dernier, celui qui a l'air vieux, ancien, démodé. Celui qui vous rappelle le verre de cet hotel exécrable où vous avez séjourné, cette cantine aux relents de graisse et de sueur ou ce repas un peu gênant auquel vous deviez participer. Celui avec des dessins idiots dessus, ou au contraire celui qui est affreusement banal, terni par le calcaire, et qui semble ne pouvoir contenir aucun breuvage noble. Le verre que vous donneriez à un enfant ou à un invité maladroit, voire même en guise de cendrier lors d'un apéritif. Eh bien c'est celui là que j'ai pris.
Oh bien sûr je n'ai pas pensé à tout ça, non j'avais juste soif et c'est le premier à m’être tombé sous la main. Maintenant que j'y pense, si j'avais eu moins soif, ou si j'avais seulement eu envie d'un soda ou d'un jus d'orange j'en aurais probablement choisi un autre. J'aurais utilisé celui-ci, vous savez lequel c'est. Celui qui brille presque, qui a l'air toujours propre. Il est souvent d'une grande élégance, ou d'une grande simplicité, il sublime son contenu ou s'efface devant sa beauté et il n'est d'ailleurs pas forcement unique, il peut s'agir de tout un service. Mais, j'avais soif, j'aurais pu ne même pas en prendre.
Je me dirige vers le robinet de l'évier et, tout en remplissant ce verre, contemple l'éblouissant soleil qui bascule derrière l'horizon. Mon verre plein, mon regard s'attarde alors sur le liquide si simple qu'il contient. Les rayons incendiaires qui percent la vitre éclatent dans l'eau claire, et projettent sur moi des reflets irisés comme autant d'explosions. Ces motifs s'attardent , se décomposent en lignes acérées et semblent tracer d'anciens symboles sur ma peau. La surface de l'eau agité semble jouer avec des nappes de lumières qui me font cligner les yeux, l'eau claire qui danse entre mes mains parait le plus sacré des nectars et les parois ternes du récipient s'illuminent comme le plus pur cristal.
Je reste ainsi de longues minutes, hypnotisé par ce dialogue avec le soleil, ce simple verre d'eau est l’intermédiaire qui me permet de supporter cette lumière aveuglante. La lumière continue ses jeux dans l'eau flamboyante, et avec un regard respectueux mais bref pour le Soleil, je bois l'eau fraiche comme une Eucharistie.
Cette lumière n'a jamais quitté mes yeux depuis, et ce verre est devenu mon préféré.






image : Maneater by ahermin