lundi 5 janvier 2015

Le verre d'eau



[je n'écris pas beaucoup en ce moment, et d'après mes statistiques ce blog est aussi fréquenté que la ville de Tchernobyl; ceci est donc un vieux texte, fruit d'un atelier d'écriture dont la consigne était : "remplissez un verre, dites moi ce que vous voyez".]


C'est la fin d'une journée d'été.
Le jour tombe lentement et un soleil brûlant effiloche les nuages qui subsistent. Sa lumière agonisante embrase la façade claire de la maison lorsque, épuisé et à bout de souffle, j'en passe le porche. Le voyage retour a été long. Je prend un verre.
C'est un des verres que je n'aime pas. Vous savez, celui que vous choisissez en dernier, celui qui a l'air vieux, ancien, démodé. Celui qui vous rappelle le verre de cet hotel exécrable où vous avez séjourné, cette cantine aux relents de graisse et de sueur ou ce repas un peu gênant auquel vous deviez participer. Celui avec des dessins idiots dessus, ou au contraire celui qui est affreusement banal, terni par le calcaire, et qui semble ne pouvoir contenir aucun breuvage noble. Le verre que vous donneriez à un enfant ou à un invité maladroit, voire même en guise de cendrier lors d'un apéritif. Eh bien c'est celui là que j'ai pris.
Oh bien sûr je n'ai pas pensé à tout ça, non j'avais juste soif et c'est le premier à m’être tombé sous la main. Maintenant que j'y pense, si j'avais eu moins soif, ou si j'avais seulement eu envie d'un soda ou d'un jus d'orange j'en aurais probablement choisi un autre. J'aurais utilisé celui-ci, vous savez lequel c'est. Celui qui brille presque, qui a l'air toujours propre. Il est souvent d'une grande élégance, ou d'une grande simplicité, il sublime son contenu ou s'efface devant sa beauté et il n'est d'ailleurs pas forcement unique, il peut s'agir de tout un service. Mais, j'avais soif, j'aurais pu ne même pas en prendre.
Je me dirige vers le robinet de l'évier et, tout en remplissant ce verre, contemple l'éblouissant soleil qui bascule derrière l'horizon. Mon verre plein, mon regard s'attarde alors sur le liquide si simple qu'il contient. Les rayons incendiaires qui percent la vitre éclatent dans l'eau claire, et projettent sur moi des reflets irisés comme autant d'explosions. Ces motifs s'attardent , se décomposent en lignes acérées et semblent tracer d'anciens symboles sur ma peau. La surface de l'eau agité semble jouer avec des nappes de lumières qui me font cligner les yeux, l'eau claire qui danse entre mes mains parait le plus sacré des nectars et les parois ternes du récipient s'illuminent comme le plus pur cristal.
Je reste ainsi de longues minutes, hypnotisé par ce dialogue avec le soleil, ce simple verre d'eau est l’intermédiaire qui me permet de supporter cette lumière aveuglante. La lumière continue ses jeux dans l'eau flamboyante, et avec un regard respectueux mais bref pour le Soleil, je bois l'eau fraiche comme une Eucharistie.
Cette lumière n'a jamais quitté mes yeux depuis, et ce verre est devenu mon préféré.






image : Maneater by ahermin