dimanche 8 mars 2015

Lisse




C'est être un peu réveillé, un peu endormi, un pied sur terre, l'autre dans la lune. C'est y voir clair, mais sans couleurs. Les jours glissent comme sur un rail, entrent, sortent et l'on se trouve balloté sans résistance à travers les heures.

Être lisse c'est écouter avec la langue lourde, embrasser avec un coeur mou, suivre plutôt qu'avancer.
C'est une musique écrêtée, une voix un peu trop posé, un visage un peu figé.
Et le sommeil qui fait des pointillés, la gorge qui fait mal sous le poids du cachet.






image : Martin Wittfooth

jeudi 5 mars 2015

Enormité du monde




Parfois je m'arrête. Cela peut se produire n'importe où, n'importe quand. Je m'arrête et me sens assaillis par l'énormité du monde. 
En un éclair défile un condensé de l'Histoire humaine, de ce demi-primate glabre, tâtonnant, jusqu'au seigneur de la Terre d'aujourd'hui, capable de plier toute les réalités à sa volonté. Je me demande alors comment est-ce possible, et la moindre parcelle de notre quotidien me paraît plus incroyable que la vie elle-même. Nos objets technologiques sont si éloignés de l'état naturel qu'ils se parent soudain d'un voile de magie et je vois cet homme préhistorique donner forme au sable pour en tirer des voitures, des immeubles ou des satellites. Quelle absurdité, tout cela est allé beaucoup trop loin. 
En appuyant sur ces touches, et au terme d'inextricables interactions électroniques, mon écran se colorise par endroit pour former des lettres que vous lirez sur votre propre dalle lumineuse, elle même alimenté par de gigantesques structures captant la force des éléments. Saisissez-vous l'étrangeté de tout ceci ? La complexité et l'inventivité débridée de notre monde ? Chaque révolution autour du Soleil en ajoute une couche, rendant encore plus opaque la nature dont nous sommes issus, comme autant de filtres sur notre vue.
Non tout ceci est trop fou, cela ne peut exister, ces grandes routes bitumeuses, ces machines dont la moindre pièce en implique des dizaines d'autres, ces connexions sociales arbitraires qui nous unissent, je dois rêver, les choses ne peuvent aller si loin.

Et puis je repart, le moment est passé, peut-être a-t-il duré dix secondes. Les choses retrouvent leur place, leur raison d'être s'expliquent rationnellement, la logique s'écoule de chaque structures. Il redeviens normal de s'arrêter à un feu rouge, d'allumer un ordinateur ou de regarder des photos de la planète Mars sur notre télévision. Toutes ces choses existent, elles découlent de nos besoins, de notre expérience ou simplement de notre volonté de les réaliser.
Je reprend ma route et le sentiment se délite lentement à mesure que j'avance. 
Parfois je me retourne, ne sommes-nous pas allé trop loin ?




image : izu island