mardi 15 novembre 2016




Il est la, il est tombé par terre.
Mon visage.

J'ai entendu un bruit cette nuit, tard, ça m'a endormi. Le bruit d'un carreau qui casse. Aveuglé par l'obscurité je tâtonne autour de moi, ne rencontrant pas le moindre interrupteur. Décidé à me lever, je bascule mes jambes hors de mon lit et j'aperçois alors une lueur à mes pieds, le timide reflet d'une lumière nocturne que mes rideaux ont laissé entrer. Encore à moitié éveillé je me demande comment une étoile à pu tomber ainsi dans ma chambre. Je tend le bras avec l'idée stupide de m'en saisir mais une fine douleur se fait ressentir sur ma main. Etonné par le sang qui perle je me penche pour découvrir qu'il ne s'agit en fait que de verre brisé. M'interrogeant sur la raison de sa présence je porte mon doigt à mes lèvres afin d'effacer la ligne rouge qu'il y a tracé.
Je ne trouve pas ma bouche.
Je deviens brutalement conscient de tout mon environnement, mon coeur s’accélère sans prévenir et je tente à nouveau de lécher ma plaie. La sueur froide qui couvre mes tempes ne s'est pas trompé, d'une oreille à l'autre je ne sens qu'une vaste étendue de peau. Je hurle, au moins dans ma tête mais ma main ne rencontre aucun mouvement, aucun orifice. J'essaye de deviner mes dents, mon nez mais il n'y a rien à faire, j'ai l'impression de toucher un énorme genou.
Je peine à rester conscient alors que mon trouble commence à obscurcir ma vision. Je me penche, tentant de lutter contre l'évanouissement et soudain, je m'aperçois.
Dans le verre brisé, j'ai vu un oeil paniqué, plein de larmes et une bouche immense. Fébrile, je saisis a pleine main les morceaux de verre, indifférent à leurs morsures. Oui mon visage est bien là, malgré la pénombre je vois bien qu'il s'agit de moi, je reconnais mon sourire. A quel moment l'ai-je perdu ? En dormant ? J'ai dû rêver de quelque chose, quelque chose auquel je n'aurais pas du penser. Je suis toujours là, il faut que je me libère de cette enveloppe, que je remette les choses à leurs places.
Je commence alors mon travail de recomposition, ajustant du mieux que je peux mes morceaux. Mais une profonde fatigue arrête mes gestes, les morceaux glissent de mes doigts poisseux et à l'instant où je glisse vers le sommeil j'entends un autre craquement. Je crois qu'il s'agit de ma porte. Je distingue des silhouettes, l'une d'elle braque une lampe sur moi avant de se couvrir la bouche. La lumière de sa torche éclabousse les murs de la pièce et se déploie dans les morceaux de verre brisés qui troublent ma vision.
Je pense à cette petite étoile que mes rideaux ont laissé entrer.




image : Rorschach

vendredi 30 septembre 2016

Le souffle




L'escalier qui craque. Tous les soirs, juste avant d'aller dormir. La lumière furtive, luciole prudente dans ma serrure. Et le souffle.
Ce souffle imperceptible qui se faufile là ou passent les clés. La lumière se couche, passe sous la porte puis s'enfuit dans le couloir.
Lorsqu'il fait jour je regarde par ma fenêtre et je vois les arbres en fleurs. Hier encore leurs bourgeons étaient scellés, froids, presque morts.
Le soleil leur a redonné la vie et la sève a afflué, gonflant leurs pétales jusqu'à ouvrir leur corolle.
Leur odeur volait jusqu'à moi, poussé par un vent frais qui parfumait mes cheveux. Que seraient-elles devenues sans le regard du soleil ? La nuit elles devenaient ternes et se repliaient sur elles-mêmes.
La nuit, un escalier qui craque.
Les gens changent aussi, parfois aussi vite que les saisons. Je me suis vue, j'ai vu ma mère ternir.
La petite luciole.
J'ai vu la solitude entourer notre maison, comme l'hiver enlace nos arbres. Les chemins de mon enfance se couvrir d'herbes et la maison rétrécir.
Mon lit aussi semble avoir rétréci, j'en touche le cadre en bois avec mon pied nu. Je regarde les ombres chinoises des arbres se découper sur les murs de ma chambre. Soudain j'entends du bruit en bas. "C'est lui". L'escalier craque, je me retourne dans ma couette et feins l'endormissement le plus profond, les paupières crispées.
Mais j'entends ce souffle. Tout léger, qui file à travers la serrure.
Lorsque je rouvre les yeux, la lumière s'est enfuie.

Au matin le soleil salue le bouquet sur la table de la cuisine.

Jadis son regard glissait sur moi comme il glisse sur les vitres, chaud, mais lointain, impalpable, beau. Lorsqu'il passe derrière moi je sens une brûlure, ma chair se gonfler, comme une plante qui pousse entre mes côtes. La chaleur me fait fondre, des gouttes acides me coulent dans les yeux. Je sens poindre la migraine dans mes tempes, je me lève et cours chercher l'ombre.
Hors de la cuisine, sous les arbres, sous mon arbre. Je m'appuie sur son écorce, si ancienne, qui m'a vue grandir. Il a observé mes jeux d'enfants, m'a vue courir autour de lui, vif satellite autour d'un astre inaccessible. Il est tellement grand, même maintenant que j'ai grandi je dois toujours lever la tête pour lui parler. Au fond de moi, j'aurais souhaité être sa fleur.
Le soir tombe, le ciel a le même couleur que le verre posé sur le comptoir. Ce n'est pas du sang, c'est du vin que ma mère a renversé sur le bois.
Sans doute est-il temps de dormir.
Je compte les feuilles de mon arbre que la lune dessine sur mon plafond au dessus de mon petit lit.
Un éclat de voix se brise sur le carrelage de la cuisine. Un silence. J'attends.
Le vent écarte mes rideaux et mon cœur accélère soudain sans raison. Je n'entends que le cliquetis lointain d'une horloge, puis le sang dans mes oreilles, comme une série de vagues, le vent dans les fleurs endormies, l'herbe qui pousse. La nuit clôt ses paupières et la vague de sang se propage dans tout mon corps, chatouillant l'extrémité de mes doigts. Ma tête part en arrière et mon dos se cambre comme si la plante perçait ma cage thoracique. Mes yeux y voient comme en plein soleil et éclairent l'arbre qui pousse, étendant ses racines dans mes jambes jusqu'à crisper mes orteils dans un craquement.
Un craquement d'escalier.
Il est trop tard lorsque je me retourne et enfouis ma tête dans l'oreiller. La serrure laisse passer un filet d'air. Je sens encore les rideaux qui s'écartent, son souffle brûlant.

Les gens changent comme les saisons, hier encore les arbres étaient en fleurs.

dimanche 4 septembre 2016

Tremens






Les gens parlent, amassent des petits tas, repeignent leur terrier, protègent leurs oreilles du vent. La douleur les poursuit, suintant de leur ombre mais il ne faut pas y penser non, il faut avancer ne surtout pas se retourner, se souvenir de qui il était.

C’est trop tard pour lui, il est parti, un sourire a tordu sa ride et c’était fini, si vite, si proche, ma mémoire me ment déjà.


Elle était là, dans la lumière qui voilait ses traits. Une colonne de feu lui tombait du ciel et plus je m’approchais plus la lueur devenait forte. La chaleur du soleil augmente à mesure que ma main va toucher la lumière. Et puis le froid.


Il a dit que tout irait bien,
Il a dit que tout irait mieux,
Il a dit des mondes peuplés de couleurs, il a parlé de lui, que tout cela changerait. Les promesses au beau plumage. Et puis la liqueur qui déborde de son cœur, confit dans la bouteille, placée sur une étagère, avec une belle étiquette : « bonheur ».


Le voilà qui ouvre le cristal, verse le rubis, s’étourdit d’éther. Je le vois danser avec sa chaise, lever le doigt du sage en déclamant des mots d’enfants. Il aime mon visage, la chaleur rougit le sien, ses yeux partent déjà au-delà de nos murs. Vers l’arrière de son crâne, ils roulent dans leur orbite, s’affolent en tous sens, ils visent son côté gauche, vers la table, le flacon le surveille. 
Tu crois que tu le vide mais en versant son contenu dans le verre c’est un peu de toi que tu enferme dans la bouteille.





image : Elicia Edijanto-Kids and Animals

samedi 3 septembre 2016

Fins



"Et nous et toutes nos choses vont mourir."

Regardez par la fenêtre, regardez autour de vous. Que voyez vous ? Des maisons ou des immeubles, des routes, des voitures, des arbres ou des champs, des magasins aux couleurs criardes, un canapé, une table, votre environnement familier. Tout cela va mourir, demain ou dans cent ans. Ces routes vont se lézarder, ces maisons s'affaiblir, ces tours rouiller sur pied. Cette table finira brisée, rompue, incinérée, ce canapé s'effilochera, se fanera, et agonisera dans une décharge. Ces voitures vont s’essouffler, le temps corrodera leur belle peinture avant que leur carcasse ne soit recyclée. Cette certitude n'est elle pas rassurante ? La malédiction de la fin pèse sur chaque chose et chaque être.
Tous ces gens vont mourir aussi, vos parents, vos amis, les gens que vous croisez tous les jours, toute votre vie. Leur peau va se rider, leur corps se gripper, la maladie mordra leurs joues, l'âge limera leurs os et le temps creusera leur peau. La fin les prendra dans leur lit, celui d'un hôpital, ou une route, ou de l'eau, elle les prendra.
Le temps vous prendra aussi, il alourdit votre mémoire chaque jour, déforme votre corps, arrache vos cheveux et tire sur vos paupières. Il portera le dernier coup demain, ou dans cent ans, dans votre lit, peut-être une forêt, un restaurant ou un trottoir humide. Ça sera fini, vous aurez joué votre tour, d'autres attendent votre place. Ça sera peut-être inattendu, injuste ou indésiré mais il en serait de même pour un verre qui se brise : trop tard.
N'y a-t-il pas là une sorte de joie sauvage ? Pouvoir tout contempler, scruter chaque paysage, chaque parcelle de cette terre ou du ciel et savoir de source sûre, cette inévitable incertitude que tout sera détruit. Les vents emporteront tout cela comme du sable, sans égard pour la valeur, la gloire, le bonheur ou la peine. Petits et grands, des plus grands arbres aux châteaux de cartes, homme d'état, saint homme ou insignifiante vermine nous pouvons les considérer comme plus ou moins morts. Un jour nous partirons aussi, et un autre jour ce sera nos enfants, puis la Terre sous nos pieds, le soleil dans le ciel ainsi que toutes ses étoiles.

Oui, tout s’achèvera, mais pour combien de temps ?




mercredi 27 juillet 2016

Le Livre






Ceux qui suivent le Verbe n’en finissent plus d’abreuver de sang la Terre
Et malgré toutes leurs légions, aucune victoire ne fut remportée par les enfants du Fer
Les disciples aveugles éteignaient sur leur route toute lumière.

Ils gravent frénétiquement leur monde dans le sol, le croyant immortel, construisent des monuments de ruines, lisent les oiseaux et écoutent les étoiles. Leur ignorance est une chute libre.
Dans des cloîtres baignés de sang ils tentent de créer la vie avec des morceaux de mort, et de lire avec leurs yeux percés des langues anciennes, qu’ils ont eux-mêmes oubliées. Prisonniers dans leur cellule de chair, le ciel qu’ils souhaitent tant atteindre se dérobe à leur regard.
Maudits sont-ils, éternels assoiffés, brillants dans la nuit comme des torches, écorchés obligés d’errer dans le sable.

Une autre ère leur succédera et le vent balayera leurs visions insensées. L’envie de mort s’étouffera et retournera se cacher à l’ombre d’antiques récits, venus des vieux mondes, n’attendant que celui qui entendra ce qu’elle lui murmure entre les lignes.






mardi 5 juillet 2016

Vivre pour soi




Qu'est ce que cela veut dire ? Vivre pour soi, penser à soi, bâtir des choses. Pourquoi ? Se sentir bien ? Se faire plaisir ? Est-ce la fin ou le moyen ?
Améliorer sa vie, son corps, son confort, construire le plus beau château de sable, je ne sais même pas quoi écrire tellement cela semble vain.
Le vent l'emportera, nous avons besoin d'être reliés les uns aux autres pour tenir l'épreuve du temps. Ou peut-être n'est ce que moi.
Il y a l'art, l'amour, ces choses que l'on laisse derrière nous. La volonté de changer le monde, d'améliorer le sort, se battre pour continuer de faire tourner la roue, apporter sa pierre.
Je n'ai rien de tout ça, je ne veux pas me battre, pas même pour moi. Les seules choses que j'aime en ce monde sont celles qui m'en font sortir, quel non-sens de vivre pour oublier que l'on vit.
Je laisse pourrir mon temps, les heures s’égrènent et chacune d'entre elle est riche d'infinies possibilités. Je les regarde passer, cherchant sur mon écran de quoi alimenter ma curiosité, en vain toujours. Car ce que j'apprends n'est pas rentable, du savoir superflu, je lis avec la même avidité l'histoire d'un pays que ma bouteille de shampoing. Les pages google défilent et rien ne se construit. Je me suis engagé dans une voie où il faut se battre, se rendre visible, qu'ai-je fait ? Je voulais connaître le mécanisme d'un fusil, pas en tenir un.
Je ne suis pas un leader, ni un suiveur, je ne suis pas un solitaire ni un profiteur, et je ne souhaite être aucun de ces profils. Je ne sais toujours pas qui je suis ni ce que je veux être, je me laisse porter par le courant. Je ne suis sans doute pas le seul mais croyez vous que cela me réconforte ?
Cette question me bloque, si je ne sais pas qui je suis, comment savoir ce que je veux ? Ou ce que je ne veux pas ? Dans ma tête c'est la feuille blanche. Lorsque je suis seul je végète, attendant quelque chose qui m'arrachera à mon évasion.
Pas de passion, pas de vision, pas de désir sinon de fuir toute réalité. Alors vivre pour soi...soi n'existe pas. Je ne fais que tourner autour de moi même, une spirale narcissique mais je n'arrive à accrocher aucune aspérité, rien ne dépasse, tout est lisse. Je n'arrive pas à me saisir de moi même.
J'ai une identité, une personnalité pour le monde extérieur, mais je ne sais pas tracer ma propre route.
Où suis-je ? Je n'en peux plus de ne pas le savoir. Il ne suffit plus maintenant de suivre les consignes, de passer dans la classe supérieur. Il est l'heure de vivre pour soi.


Comme tout est étrange.





Image : Martin Wittfooth

samedi 28 mai 2016

Circulation







Les arbres secs tendent leurs bras vers le ciel, les murs mous s'affaissent comme un enfant fatigué le soir de Noël. Je vis dans une boite, je parcours ses facettes jour après jour.

Qu'est il arrivé, jadis nous pouvions voir les étoiles, pouvoir nous incliner devant des rois, des reines, des guerriers, à l'époque où l'humain pouvais se transcender, dépasser sa condition, devenir un symbole.

Cet argent qui s'échappe comme des fourmis qu'on attrape à pleine mains, ces tours de verre et d'acier, le temps qui coure devant nous, ou qui nous poursuit avec les bras grands ouverts. La matière que l'on absorbe, nous broyons des végétaux avec nos dents, découpons la viande, on enfourne toujours plus de charbon dans la machine, honteux de nos déchets qui semblent dire : "vois, vois ce que tu fais au monde".

Et la danse continue, le cycle de combustion, la roue de feu n'est-elle qu'une spirale qui s'enfonce ? L'immortalité nous échappe, nous croyons aux cycles, au deuxième épisode, la suite, la porte de sortie, mais nous ne ferons qu'un seul tour.
Ce simple espoir nous suffit à continuer à tourner. Autour de quoi ? Je ne sais pas, l'espoir, la vie, la mort, ou nous-même. Ne me parlez pas de drogues, d'amour ou de tout autre paradis artificiels, nous abusons nos sens pour penser à autre chose.
Les instincts dont nous ne savons que faire, les normes qui nous serrent comme un vêtement mal coupé, nous sommes perdus, en équilibre sur cette corde, contraints d'avancer pour ne pas tomber.
Notre conscience de soi, notre individualité, sont apparus comme une maladie qui incubait en nous depuis le premier Feu. Elle s'est déclarée au cours des derniers siècles, nous privant de cette capacité à dépasser notre condition, à devenir une cause, un symbole.
Elle ne nous laisse pas oublier notre condition. Alors nous continuons d'avancer, en tournant autour de nous même, enfermés dans la boite.





mercredi 3 février 2016

Arretez







Arrêtez d’avancer
Arrêtez de vous montrer
Arrêtez de vous toucher
Arrêtez de parler
Arrêtez de voter
Arrêtez de manger
Arrêtez d’écouter
Vous faites trop de bruit, mon visage se fissure, mes mains passent presque à travers.
Le sol est trop lourd pour moi, engourdi de milliers de pieds qui hésitent. On dirait des fourmis dans un verre d’eau, à trembler, s’agiter, tendre leurs pattes vers les parois glissantes. Mais vous n’arrivez à rien.
Les gens meurent, les cheveux tombent, les écrans s’éteignent et le soleil se lève toujours.
Arrêtez de courir.
Vous avez bien assez de temps pour vivre, les secondes ne sont que des chiffres, des perceptions, il n’appartient qu’à vous de les faire durer plus longtemps.

Arrêtez de ne pas voir, ouvrez plus de tiroirs, pouvez-vous attraper le rebord d’un gouffre ? Pouvez-vous distinguer le noir ? Comptez les gouttes de pluies, les ponts sur la route, jusqu’où irez-vous ? Jusqu’où vont-ils ?
Jusqu’où vont-elles, ces idées que je sens dans vos têtes ? Osez-vous tâtonner le bout de votre compréhension ? Les limites les plus lointaines que vous imaginez, et après ? Avez-vous réussit à être ce que vous vouliez ? Ou maintenant que vous vous connaissez peut-être n’en avez-vous plus vraiment envie…
Plongez la tête dans l’eau et prenez une grande inspiration de ce que vous ne connaissez pas, ouvrez les yeux, la tête en bas dans votre crâne.
Vous êtes toujours chez vous.




image plus tard