vendredi 30 septembre 2016

Le souffle




L'escalier qui craque. Tous les soirs, juste avant d'aller dormir. La lumière furtive, luciole prudente dans ma serrure. Et le souffle.
Ce souffle imperceptible qui se faufile là ou passent les clés. La lumière se couche, passe sous la porte puis s'enfuit dans le couloir.
Lorsqu'il fait jour je regarde par ma fenêtre et je vois les arbres en fleurs. Hier encore leurs bourgeons étaient scellés, froids, presque morts.
Le soleil leur a redonné la vie et la sève a afflué, gonflant leurs pétales jusqu'à ouvrir leur corolle.
Leur odeur volait jusqu'à moi, poussé par un vent frais qui parfumait mes cheveux. Que seraient-elles devenues sans le regard du soleil ? La nuit elles devenaient ternes et se repliaient sur elles-mêmes.
La nuit, un escalier qui craque.
Les gens changent aussi, parfois aussi vite que les saisons. Je me suis vue, j'ai vu ma mère ternir.
La petite luciole.
J'ai vu la solitude entourer notre maison, comme l'hiver enlace nos arbres. Les chemins de mon enfance se couvrir d'herbes et la maison rétrécir.
Mon lit aussi semble avoir rétréci, j'en touche le cadre en bois avec mon pied nu. Je regarde les ombres chinoises des arbres se découper sur les murs de ma chambre. Soudain j'entends du bruit en bas. "C'est lui". L'escalier craque, je me retourne dans ma couette et feins l'endormissement le plus profond, les paupières crispées.
Mais j'entends ce souffle. Tout léger, qui file à travers la serrure.
Lorsque je rouvre les yeux, la lumière s'est enfuie.

Au matin le soleil salue le bouquet sur la table de la cuisine.

Jadis son regard glissait sur moi comme il glisse sur les vitres, chaud, mais lointain, impalpable, beau. Lorsqu'il passe derrière moi je sens une brûlure, ma chair se gonfler, comme une plante qui pousse entre mes côtes. La chaleur me fait fondre, des gouttes acides me coulent dans les yeux. Je sens poindre la migraine dans mes tempes, je me lève et cours chercher l'ombre.
Hors de la cuisine, sous les arbres, sous mon arbre. Je m'appuie sur son écorce, si ancienne, qui m'a vue grandir. Il a observé mes jeux d'enfants, m'a vue courir autour de lui, vif satellite autour d'un astre inaccessible. Il est tellement grand, même maintenant que j'ai grandi je dois toujours lever la tête pour lui parler. Au fond de moi, j'aurais souhaité être sa fleur.
Le soir tombe, le ciel a le même couleur que le verre posé sur le comptoir. Ce n'est pas du sang, c'est du vin que ma mère a renversé sur le bois.
Sans doute est-il temps de dormir.
Je compte les feuilles de mon arbre que la lune dessine sur mon plafond au dessus de mon petit lit.
Un éclat de voix se brise sur le carrelage de la cuisine. Un silence. J'attends.
Le vent écarte mes rideaux et mon cœur accélère soudain sans raison. Je n'entends que le cliquetis lointain d'une horloge, puis le sang dans mes oreilles, comme une série de vagues, le vent dans les fleurs endormies, l'herbe qui pousse. La nuit clôt ses paupières et la vague de sang se propage dans tout mon corps, chatouillant l'extrémité de mes doigts. Ma tête part en arrière et mon dos se cambre comme si la plante perçait ma cage thoracique. Mes yeux y voient comme en plein soleil et éclairent l'arbre qui pousse, étendant ses racines dans mes jambes jusqu'à crisper mes orteils dans un craquement.
Un craquement d'escalier.
Il est trop tard lorsque je me retourne et enfouis ma tête dans l'oreiller. La serrure laisse passer un filet d'air. Je sens encore les rideaux qui s'écartent, son souffle brûlant.

Les gens changent comme les saisons, hier encore les arbres étaient en fleurs.

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