samedi 13 janvier 2018

Zone Rouge




La vieille leur racontait que du poison tombait du ciel. Il s'infiltrait dans les  racines des plantes, empoisonnait leurs fleurs et rendait les forêts semblables aux cimetières. C'était quelque chose dans l'eau, l'eau qui tombait du ciel.
Rien ne poussait ici, les fermiers ne labouraient que du métal et des os anciens. La Grande Guerre n'était pas encore finie dans les sols de cette contrée, les fusils tiraient toujours leurs balles rouillées et de vieux obus laissaient leurs entrailles corrosives contaminer la terre.

Certaines zones étaient interdites, trop sinistrées. Quelques blocs de pierre, tellement épars qu'on n'oserait les qualifier de ruines, témoignaient d'anciens villages. Même les oiseaux ne survolaient plus ces endroits, le bruits des bombes résonne encore dans leurs gènes.
On pouvait aussi y trouver des tombes de fortunes, le plus souvent érigées avec les armes des mourants. De maigres silhouettes tordues par la rouille, plantées au dessus d'un monticule. Sous un buisson pouvait se cacher la carcasse d'une pièce d'artillerie, et dans un fossé gorgé d'eau, un vieux char d'assaut qui paraît s'y dissoudre.

La nature ne voulait plus d'Hommes ici. Le lourd silence n'était qu'à peine troublé par le bruit des quelques animaux sauvages, renards ou chevreuils qui s'y aventuraient. Même eux paraissaient encore plus prudent qu'à l'accoutumée, comme un humain entrerait dans une église. Une herbe vive couvrait chaque aspérité année après année, mais rien ne venait combler les cratères qui grêlent encore chaque parcelle de terrain. Le relief est indéfinissable, ce que l'on prenait pour une butte pouvait se trouver éventrée sur l'autre versant et constituer une large cuvette, et ce qui était jadis une plaine se transformait en d'éprouvants dénivelés ou un interminable dédale dans les cratères.
L'abandon était la caractéristiques de toutes choses ici, des habitants aux paysages. Pas un poteau électrique ni même un arrêt de bus. Les rares touches de couleur qu'on pouvait y voir étaient les multiples panneaux d'avertissement et d'interdiction de franchir les clôtures de sécurité.
Les habitant y poursuivaient leur vie, chacun à son niveau tentant de désintoxiquer son pays, retirant ici un bout de ferraille dans un massif de fleur, là signalant la silhouette d'un obus dans une mare.

Personne ne venait, jamais, les cartes n'indiquaient leur présence que pour marquer les zones à éviter aux gens de passage. Les horloges se sont arrêtés il y a plus d'un siècle à présent.

Seule la végétation donne une idée du temps qui s'est écoulée, et dans la yeux de la vieille qui terminait son histoire, la guerre continuait de faire rage.




La vieille dame n'existe peut-être pas, mais son pays oui. Il s'appelle la Zone Rouge, c'est en France.
Image : Olivier Saint Hilaire - Lieux de mémoires